Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

Depuis sa cellule, Abir Moussi interpelle le barreau et dénonce une « justice muselée »

Par Nadya Jennene

Depuis sa cellule à la prison de Bulla Regia, Abir Moussi, avocate et présidente du Parti destourien libre (PDL), a interpellé l’Ordre national des avocats de Tunisie. Dans une lettre adressée à ses collègues à l’occasion d’une séance publique intitulée « Le rôle de l’avocat dans les procédures pénales : pour un procès équitable », elle dénonce ce qu’elle décrit comme une détérioration inquiétante de l’indépendance judiciaire et appelle à une mobilisation sans précédent de la profession pour défendre les droits et libertés fondamentaux.

L’Ordre national des avocats tient, le 10 novembre, une assemblée générale consacrée au débat sur les garanties du droit à la défense, alors que la profession constate des entraves croissantes et des pressions pesant sur le système judiciaire, et réfléchit aux moyens de protéger les droits des justiciables.

Une profession en danger : textes antiterroristes, restrictions et marginalisation

Dans sa lettre, Abir Moussi décrit une Tunisie où « la Constitution et la loi sont bafouées, où les traités internationaux sont jetés à la poubelle, où les droits sont violés, où les libertés sont réprimées, où les langues sont muselées et où le principe d’indépendance de la justice est supprimé ». Elle rappelle que la profession d’avocat traverse une période « historique », soulignant que son rôle, défini par le décret n°79 de 2011, consiste à « participer à l’administration de la justice et défendre les libertés et les droits de l’Homme ».

Estimant que le moment n’est plus « aux discussions » mais aux décisions « audacieuses », elle exhorte ses collègues à agir face à des abus qu’elle juge systématiques : recours injustifié aux textes antiterroristes, marginalisation du rôle des avocats dans les procédures pénales, restrictions d’accès aux détenus.

La prison, les mauvais traitements et les violations du secret professionnel

La dirigeante politique évoque ensuite sa propre situation. Elle affirme être victime de transferts arbitraires entre centres de détention, de mauvais traitements et de restrictions dans ses contacts avec ses avocats. « Il est de votre devoir d’intervenir lorsque je suis victime de mauvais traitements (…) que je suis transférée de manière arbitraire d’un centre de détention à un autre en dehors de tout cadre légal et que je suis privée de mon droit de communiquer avec mon avocat », écrit-elle.

Elle rappelle que ces abus ont été constatés, selon elle, par des instances internationales compétentes et se produisent « sans mandat d’arrêt ni jugement exécutoire », malgré des décisions judiciaires censées garantir sa libération. Moussi insiste également sur les violations du secret professionnel et les atteintes à la dignité des avocats.

« Votre devoir » : Moussi appelle le barreau à assumer ses responsabilités

Abir Moussi ne se limite pas à dénoncer sa situation personnelle. Elle interpelle directement le bâtonnier et ses collègues afin qu’ils exercent pleinement leurs responsabilités syndicales et légales. Selon elle, « il est de votre devoir d’intervenir lorsque le ministère public abuse de son pouvoir et applique la loi antiterroriste (…) en l’absence totale d’éléments justifiant le recours à ces textes dangereux ».

Elle souligne que tous les avocats ont le droit de « faire entendre leur voix lorsque le droit à la défense est bafoué, que le rôle des avocats est minimisé, que leurs demandes visant à découvrir la vérité sont rejetées, que leur présence lors de l’enquête ou des plaidoiries n’est qu’une présence décorative ».

Moussi appelle l’Ordre à défendre ses membres et à rétablir leur dignité face aux restrictions dans l’exercice de leurs fonctions. Elle dénonce le non-respect des autorisations judiciaires, la non-application des cartes de visite délivrées par les tribunaux et les atteintes répétées au secret professionnel dans les unités pénitentiaires.

Pour elle, la responsabilité de l’Ordre dépasse la seule défense des avocats : elle engage la protection de l’indépendance de la justice et des droits des citoyens. « Il est du droit de la Tunisie et des Tunisiens que vous défendiez avec acharnement l’indépendance de la justice (…) et que vous refusiez de plaider devant des instances judiciaires qui ne sont pas issues d’un mouvement conforme à la Constitution et à la loi. »

Abir Moussi affirme par ailleurs assumer pleinement son rôle d’opposante politique, ses convictions et ses méthodes de lutte, sans chercher à se cacher derrière sa profession. « Je ne vous demande pas d’adopter mes opinions, ni de les approuver. (…) Je n’accepte pas que les structures du barreau se substituent à moi », écrit-elle, tout en rappelant que cela ne dispense pas l’Ordre de ses responsabilités syndicales et légales.

Dans sa conclusion, Moussi place une lourde responsabilité sur les épaules de l’Ordre des avocats. « Le sort qui m’est réservé, celui de mes collègues détenus, des prisonniers d’opinion et de la liberté d’expression (…) repose entre les mains de la profession d’avocat, la seule institution encore porteuse d’une légitimité incontestable », affirme-t-elle.

Elle réitère enfin son refus que les avocats participent à ce qu’elle qualifie de « liquidation physique et politique » et rappelle que son boycott des procès s’inscrit, selon elle, dans la défense d’un procès équitable.

N.J.

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers