L’arrestation spectaculaire de la militante et figure du Front de Salut, Chayma Issa, survenue, hier, samedi 29 novembre 2025, en pleine manifestation contre la répression à Tunis, a suscité une avalanche de réactions politiques, juridiques et associatives. L’exécution quasi immédiate du jugement de la cour d’appel — la condamnant à vingt ans de prison dans l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’Etat— fait l’objet d’une contestation nourrie sur les réseaux sociaux.
Dans un long statut publié sur Facebook, l’ancien ministre et avocat Mohamed Abbou critique sévèrement la rapidité et les conditions d’exécution du jugement. Il rappelle que, dans la pratique judiciaire tunisienne, « l’avis de recherche n’est généralement exécuté qu’au bout de cinq ou six mois », délai récemment raccourci pour les affaires de terrorisme.
Pour Mohamed Abbou, le véritable problème ne réside pas uniquement dans l’arrestation de Chayma Issa deux jours après le verdict, mais dans le fait d’avoir « brisé l’ordre chronologique d’exécution des jugements » pour un dossier politique sensible. Une démarche qu’il qualifie de « geste futile » destiné à l’intimidation plutôt qu’à l’application sereine de la loi.
L’ancien ministre estime également que les forces de sécurité « auraient pu procéder à une arrestation discrète », jugeant la mise en scène publique comme un acte visant à « terroriser les contestataires ». Il conclut en souhaitant que la Tunisie « se libère rapidement de ceux qui ont prouvé être bien en dessous de la responsabilité de gouverner ».

L’avocat Sami Ben Ghazi met en garde contre les conséquences politiques d’un tel passage en force. Pour lui, l’exécution immédiate des peines contre trois figures de l’opposition — Ahmed Néjib Chebbi, Ayachi Hammami et Chayma Issa — relève d’un « choix suicidaire » pour un pouvoir déjà fragilisé.
Sami Ben Ghazi rappelle le poids symbolique de Chebbi, « mémoire politique du pays », et la stature morale de Hammami, « valeur éthique et juridique respectée par tous ». Quant au cas de Chayma Issa, il le décrit comme le point le plus explosif : « la seule femme jugée en présence dans ce dossier, condamnée à vingt ans… Ce jugement deviendra un cri éthique, un marqueur de la prochaine confrontation sur les droits humains ».
Selon lui, les autorités auraient pu éviter « cette exposition politique inutile » en laissant la procédure suivre son cours normal, notamment en attendant les demandes de suspension d’exécution. Au lieu de cela, conclut-il, « ils ont choisi d’aller droit dans le mur ».

De son côté, l’avocat Taieb Bessadok intervient pour corriger ce qu’il considère comme des confusions juridiques circulant en ligne. Sans commenter le fond du dossier, il rappelle la différence entre jugement définitif et jugement exécutoire, soulignant que le second reste susceptible de pourvoi en cassation, contrairement au premier, qualifié de bat.
À travers cette précision, il met en garde contre « la contagion de l’ignorance juridique » et les lectures erronées qui polarisent le débat public.

La réaction la plus virulente émane d’un collectif de personnalités et d’associations féministes, mené notamment par l’universitaire et militante Sana Ben Achour. Dans un communiqué publié vendredi soir, elles dénoncent le « kidnapping » de Chayma Issa par des agents en civil lors d’une marche féministe pacifique.
Le texte fustige un acte « révélateur de la persistance de la violence politique exercée contre les femmes » et affirme que la condamnation de la militante « pour son engagement politique » constitue une attaque directe contre la liberté d’expression.
Les signataires tiennent les autorités « entièrement responsables de son intégrité physique », exigent la divulgation immédiate de son lieu de détention et appellent les organisations de défense des droits humains à se mobiliser contre cette « escalade dangereuse ».
« L’arrestation d’une femme militante est une attaque contre toutes les femmes. La voix de Chayma… c’est la nôtre », conclut le communiqué.


S.H













