Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

Après la piscine, Kaïs Saïed nous bassine avec une Feskia

Par Maya Bouallégui

Épisode 1 — La crise s’aggrave, la Feskia* avance

Aujourd’hui, samedi 6 décembre, Tunis remet son gilet de contestation pour le troisième samedi consécutif. Comme le 22, comme le 29 novembre, on devrait s’attendre à des milliers de personnes dans la rue. Ils viendront réclamer un État de droit — un concept visiblement exotique, presque folklorique —, des libertés, de la justice, et la libération de dizaines de prisonniers politiques.

Entre deux samedis, la colère n’a pas pris de pause-café.

Gabès est sortie dans la rue, tout comme l’UGTT qui a chauffé les moteurs, et tout ce petit monde se dirige tranquillement vers une grève générale sectorielle le mercredi prochain 10 décembre, qui coïncide avec la Journée mondiale des droits de l’Homme et une grève générale sur tout le pays le 21 janvier 2026. Pareil pour les avocats qui se révoltent et annoncent des décisions spectaculaires.

Autrement dit : tout le pays est debout, sauf le pouvoir, qui préfère rester en position horizontale.

Face à cette montée de fièvre sociale, le citoyen lambda se demande : qu’a donc fait Kaïs Saïed pour répondre à cette colère ?

Réforme judiciaire ? Non.

Plan d’urgence économique ? Encore moins.

Dialogue national ? Ah ! Vous êtes mignons.

Non : mardi dernier, il a annoncé… la restauration de la Feskia (*bassins) des Aghlabides à Kairouan.

Ironie subtile : l’homme qui a bâti toute sa légitimité sur le slogan « ach-chaab yourid », (le peuple réclame) voit aujourd’hui ce même peuple réclamer depuis des semaines — et sa réponse, ce n’est ni une réforme ni une solution, mais… une Feskia.

En somme : la rue hurle à la liberté et la justice, et lui répond par une brochure de l’INP.

Les manifestants se sont d’ailleurs moqués : « en six ans, affirment-ils, sa seule réalisation concrète est la rénovation de la piscine du Belvédère. »

Ce qui nous permet désormais d’établir un bilan plus complet :

– Il a restauré une piscine (aux frais de la BIAT).

– Il va restaurer une Feskia (avec l’argent d’on ne sait qui d’autre).

Parce que pour remettre de l’eau dans les bassins et nous bassiner, il est là.

Pour remettre de l’ordre dans le pays et un semblant de justice, on l’attend toujours.

Épisode 2 — Pendant que Saïed restaure des pierres médiévales, les députés restaurent leur retraite

Pendant que Kaïs Saïed cherche quel malheureux plumer pour financer sa Feskia — la seule réponse patrimoniale à trois semaines de manifestations nationales — les députés, eux, ont trouvé beaucoup plus utile : râcler le budget de l’État pour se servir en premier.

Mercredi 3 décembre, ils ont adopté l’amendement au régime de retraite des députés — malgré les protestations de la ministre des Finances, qui a eu l’outrecuidance de poser des questions embarrassantes sur le risque pour le budget de l’État.

Le nouveau régime de retraite prévoit désormais que les pensions seront calculées sur l’ensemble des indemnités, primes, avantages et gratifications diverses.

Un buffet ouvert. Avec un ticket d’entrée payé par le contribuable.

Concrètement :

un mandat = 30 % d’ancienneté,

deux mandats = 60 %,

trois mandats ou plus = 90 %.

Et peu importe si ces mandats furent productifs, absents, approximatifs ou silencieux : la caisse, elle, ne fait pas de distinction.

La ministre des Finances a tenté un geste héroïque : rappeler que cela menace l’équilibre budgétaire. Un détail.

Les députés ont opiné avec gravité — puis voté sans broncher.

Cette solidarité, ils ne l’offrent qu’à eux-mêmes.

Le pays, lui, continue de descendre dans la rue : le samedi pour réclamer des libertés, le dimanche pour respirer, le lundi pour survivre, le mercredi prochain pour la Journée mondiale des droits de l’Homme.

À Tunis, à Gabès, dans les syndicats, dans les universités, partout la colère monte.

Et sous la coupole ?

Le calme imperturbable de ceux qui savent qu’ils viennent de s’assurer une retraite dorée dans un pays qui ne parvient même plus à financer ses hôpitaux.

Pendant que Saïed restaure des fosses médiévales pour répondre à un peuple qui réclame un État de droit, les députés restaurent leur propre avenir.

À ce rythme, la Tunisie risque d’être le premier pays où la démocratie n’aura pas été confisquée par une autocratie, mais par une caisse de retraite.

Épisode 3 — Le Parlement vote, le blanchiment encaisse

Pendant que le pays réclame justice, emploi, transparence — et que les rues grondent — certains députés ont trouvé le filon immuable : celui de l’économie informelle, sans impôts, sans TVA, sans… contrôle.

À coups de plafonds d’argent liquide supprimés, de refus du décashing, ils ont transformé le “commerce parallèle” en robinet à dividendes politiques.

En encourageant l’informel, le hors-système, le cash sans trace, ces mêmes députés autorisent le blanchiment, fragilisent les recettes publiques, et vident les caisses — pendant qu’ils remplissent les leurs.

Pire encore, ils se présentent comme les défenseurs de “la liberté de commerce” ; un euphémisme tragique pour dire “la liberté d’échapper à l’impôt”.

L’informel, disent-ils, c’est la résilience ; la formalité, un luxe mortifère pour le petit commerçant. Sauf que la “résilience” dont ils parlent, c’est surtout celle de leurs propres bénéfices.

Pendant ce temps, le Groupe d’action financière (GAFI) observe. Parce que la finance parallèle, l’économie informelle massive, les flux invisibles et le cash-roi sont les meilleurs amis du blanchiment et du financement occulte.

Quand un pays ouvre sa porte à l’informel, il invite les organisations criminelles à dîner.

Quand des députés en font la norme, ils font du blanchiment une institution.

Alors qu’en Europe, en Asie, ailleurs en Afrique, les États essaient laborieusement de formaliser l’économie — traçabilité, fiscalité, régulation, décashing — ici on vote des lois pour la liquéfier.

Ici, on bâtit la faillite sur le sable d’un cash sans loi.

Le paradoxe est cinglant : le même parlement qui pleurniche sur “ingérence étrangère”, sur “pression externe”, sur “tentatives de contrôler les afflux de capitaux”, c’est lui qui, de ses propres mains, prépare la porte d’entrée des capitaux opaques et à l’ingérence étrangère.

Et la facture sera lourde : fuite des capitaux, évasion fiscale, déclassement international, mise sur liste noire, retrait des partenaires internationaux, soudain effondrement de la confiance — les conséquences sont connues, documentées, parfois mortelles pour l’économie.

 Ceux qui croient vendre des babouches sans facture croient aussi pouvoir vendre la Tunisie au rabais.

Ils ont tort.

Quand le blanchiment devient la norme, c’est le pays entier qui blanchit… son avenir.

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers

5 commentaires

  1. Mhammed Ben Hassine

    7 décembre 2025 | 15h39

    Je m’excuse je retire mon commentaire

  2. Mhammed Ben Hassine

    7 décembre 2025 | 15h37

    Md maya avec tous mes respects
    Il fallait indiquer qui la financer cette piscine et à qui revient le mérité est ce que je me trempe

  3. Hannibal

    7 décembre 2025 | 9h20

    Pourquoi je ne suis pas étonné ?
    Les médiocres produisent la médiocrité.
    Les médiocres ne voient pas plus que le bout de leur nez.
    Leur champion à deux balles n’avait pas dit qu’il veut lutter contre le blanchiment. Je crois qu’il voulait dire qu’il voulait imposer la noirceur c’est-à-dire l’économie au black.
    Le cauchemar continue…

  4. Foulen Gf

    6 décembre 2025 | 20h12

    Madame Maya Bouallagui, je vous félicite pour votre plume de maîtresse et votre langue impeccable. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le privilège de lire une œuvre aussi finement ciselée, où chaque mot semble taillé comme une pierre précieuse.
    Bravo et courage !

    • Mhammed Ben Hassine

      7 décembre 2025 | 15h51

      N’oublions pas tou de même Mr nizar,marwen… ils tou le mérite