Pour le troisième samedi consécutif, Tunis a vu une grosse manifestation anti-régime à laquelle participaient des milliers de personnes. Et cela ne devrait pas s’arrêter. Samedi prochain, il y aura probablement une autre manifestation avec autant, voire davantage, de manifestants. Mercredi prochain, une grève générale sectorielle est prévue.
Le 21 janvier 2026, la centrale syndicale prévoit une grève générale dans tout le pays. Les chances de succès de cette grève dépendront du bras de fer à l’intérieur de l’UGTT entre le camp de Noureddine Taboubi et celui d’Anouar Ben Gueddour. Espérons que ces deux frères syndicalistes aient suffisamment de jugeote pour mettre de côté leurs différends et cibler ce qu’il y a de plus important : la crise profonde que traverse la Tunisie avec le pouvoir hégémonique et autocratique de Kaïs Saïed.
Le terrain ne ment jamais
Rien ne vaut le terrain pour décrire une situation, un état, un phénomène ou un pays.
Et le terrain est le suivant. Trois samedis — 22 et 29 novembre et 6 décembre — trois manifestations importantes organisées par la société civile. On appelle à la liberté et à la justice. Dans la rue, entre 3 000 et 4 000 personnes chaque fois.
La centrale syndicale, l’UGTT, a organisé deux grosses manifestations les 21 août et le 4 décembre. Plusieurs corporations sont en colère et vont se faire entendre ce 10 décembre.
Gabès, qui suffoque, est la dernière à laquelle le régime propose des antalgiques au lieu de l’opération chirurgicale nécessaire.
Des corps intermédiaires en révolte
L’Ordre des avocats, sections de Tunis, Sousse et Gafsa, a publié la semaine dernière des communiqués incendiaires. Le Conseil du barreau de Tunis a également décidé de boycotter plusieurs chambres pénales dont les audiences ont, selon lui, été entachées de « violations flagrantes » compromettant les garanties d’un procès équitable. Le boycott s’étendra sur tout le mois de décembre 2025, à partir d’aujourd’hui lundi 8 décembre, dans une première phase avant une possible décision de boycott définitif.
On ne compte plus les communiqués de dénonciation des atteintes à la liberté de la presse et à la justice, publiés par le Syndicat national des journalistes tunisiens. Une manifestation de colère a eu lieu le 20 novembre dernier.
Même dynamique du côté de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, doyenne des ligues des droits de l’Homme en Afrique et dans le monde arabe. Ses communiqués incendiaires se comptent par dizaines ces dernières semaines.
Pareillement du côté du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux ou encore de l’Association tunisienne des femmes démocrates.
Pareillement encore du côté des partis politiques allant d’Attayar à Ennahdha, en passant par Al Joumhouri et le PDL.
Le patronat est mort de peur et se cache sous le lit, de crainte que la vague d’arrestations abusives ciblant les hommes d’affaires atteigne les membres de son comité exécutif.
Idem pour les fonctionnaires, régulièrement pris pour cibles dans les invectives présidentielles. La rumeur prétend que l’on entend licencier un bon nombre de fonctionnaires dans les prochains temps, afin de laisser place aux diplômés chômeurs de longue date.
Un isolement qui ne cesse de s’accentuer
Loin des forces vives du pays, à l’international, les dénonciations de la situation en Tunisie ne sont pas moins nombreuses. Cela va du Parlement européen aux ONG les plus célèbres, telles Amnesty International et Human Rights Watch.
Les liens avec les pays frères et amis se sont effilochés : rupture avec Rabat, froid glacial avec Paris, haute tension avec Bruxelles (UE) et La Haye. Quant à Washington, Tripoli, Alger et Rome, seuls les couloirs diplomatiques savent ce qu’il en reste réellement.
Que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, le régime de Kaïs Saïed semble plus isolé que jamais. Les grognes montent et deviennent impossibles à contrôler ou à étouffer.
En dépit de cette situation indéniablement tendue, Kaïs Saïed semble jouer la fuite en avant.
Partant du principe « j’y suis, j’y reste », il est convaincu de sa légitimité puisque élu par le peuple, disent ses partisans. On oublie que 72 % des électeurs ne se sont pas déplacés, que le scrutin s’est déroulé sans observateurs indépendants et avec une Instance électorale dont il a lui-même nommé les membres.
On oublie surtout que les adversaires de Kaïs Saïed ont été jetés en prison ou poussés à l’exil, voire interdits purement et simplement de participer, en dépit d’une décision du tribunal administratif en leur faveur. Et pour boucler le tout, on oublie que la loi électorale a changé en pleine campagne.
Qui reste encore du côté de Kaïs Saïed ?
Les faits sont têtus, le terrain est bruyant et le régime vacille clairement. Les forces vives du pays, celles qui composent réellement une nation, sont en colère et le crient suffisamment haut.
Dans le registre des faits, il y a lieu de s’interroger qui est réellement du côté de Kaïs Saïed.
Le peuple ? Encore faut-il savoir de qui on parle. Les milliers de manifestants qui occupent les rues en font partie, tout comme les corporations qui rejettent ouvertement la politique du président. Et si l’on s’en tient aux chiffres, une évidence s’impose : la majorité du peuple n’est pas derrière Kaïs Saïed.
Les forces armées ? Elles ont toujours été républicaines. Elles sont là pour servir le président de la République quel que soit son nom. Légalement, elles se doivent de lui obéir, mais cela ne signifie nullement qu’elles approuvent sa politique. Le jour où le peuple se soulèvera, ces forces armées devraient se tenir du côté des masses.
La justice ? Elle est aux ordres et vit une des pires périodes de son histoire. Sa loyauté est acquise par la peur et non par la conviction. D’ailleurs, la justice doit être aveugle et loyale uniquement aux lois et non aux personnes.
Deux pelés, trois tondus… et un pays en colère
Qui reste-t-il pour soutenir Kaïs Saïed ? Je suis tenté de dire deux pelés et trois tondus en pensant à Riadh Jrad, Nizar Dax, Ahmed Chaftar et à quelques médias de propagande qui s’imaginent défendre le président en l’enfonçant un peu plus chaque jour. Ces partisans zélés de Kaïs Saïed n’ont que l’injure dans leur lexique et ne peuvent, en aucun cas, représenter le peuple.
Leurs sorties publiques portent un grand préjudice au chef de l’État. Ils le desservent là où ils pensent le servir.
Au bout du compte, Kaïs Saïed ne gouverne plus qu’avec la peur, l’arbitraire et trois courtisans qui prennent leur colère pour des convictions.
Le pouvoir peut emprisonner, intimider, censurer, menacer. Il peut étouffer les voix, mais pas fabriquer l’adhésion.
Un pays ne s’effondre jamais d’un coup : il se retire lentement de ceux qui le dirigent. Les syndicats s’éloignent, les avocats dénoncent, les magistrats se taisent, la société civile crie. Puis un matin, le pouvoir se retourne et découvre qu’il ne reste plus que l’écho de sa propre voix.
Kaïs Saïed en est là. Il avance seul — terriblement seul — dans un pays qui ne marche plus derrière lui.
Le reste n’est qu’une question de temps. Pour finir, une interrogation simple et brutale : combien de temps un président peut-il tenir lorsqu’il est seul à croire encore qu’il gouverne ?











2 commentaires
moncef sfar
Désolé je viens d y être piraté ..!!!!!! Je n est à voir à ce qui ne sont reprochés ou tels … moncef sfAR .
Larry
Qu’il est bien écrit cet article M. Bahloul…
Bravo !…
Mais vous avez oublié que parfois (et de plus en plus) on peut entendre dans les manifestations : » dégage «