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À son tour, Abir Moussi dénude la justice

Par Nizar Bahloul

Absurde. S’il y a un mot pour qualifier la lourde condamnation d’Abir Moussi, ce serait bien celui-là.

Les faits sont simples. Le 3 octobre 2023, Abir Moussi s’était rendue au bureau d’ordre de la présidence de la République à Carthage pour déposer un recours contre des décrets présidentiels relatifs au processus électoral. Le dépôt de ce recours lui a été refusé par les services administratifs, alors qu’il s’agit normalement d’une simple formalité juridique.

Très procédurière et sûre de son bon droit, en sa qualité d’avocate, d’ancienne députée et de présidente du Parti destourien libre (PDL), l’un des principaux partis de l’opposition, Abir Moussi est restée sur place, dans une rue attenante, pour réclamer que son dossier soit accepté. Elle a lancé un live sur Facebook afin d’expliquer la situation à ses adhérents, aux observateurs et aux médias.

Cela a suffi aux forces de police pour se jeter sur elle et procéder à son interpellation. Depuis, elle est en prison. Vendredi dernier, et pour ce seul live Facebook, elle a été condamnée à douze ans de prison ferme. Douze ans.

Quand la justice bascule dans l’absurde pénal

Officiellement, Abir Moussi est reconnue coupable d’« attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire », conformément à l’article 72 du Code pénal. Voilà comment la justice tunisienne transforme un simple live sur Facebook en un crime passible, en théorie, de la peine de mort.

La prévenue n’était ni armée, ni violente, et n’a appelé à aucune forme de désordre. Elle s’est contentée de rendre public le refus de l’administration présidentielle de recevoir un courrier. Nous sommes des millions à en témoigner. Et pourtant, on l’a inculpée et condamnée.

Ce qui est arrivé à Abir Moussi n’a rien d’une première. Hélas. Avant elle, des dizaines de personnalités politiques ont été condamnées à de très lourdes peines dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État. Leur crime ? S’être réunies entre elles ou avec des diplomates étrangers pour discuter de la dérive autoritaire du régime.

D’autres croupissent en prison pour avoir dirigé des ONG défendant les droits des migrants. D’autres encore pour des affaires financières banales. La semaine dernière, un homme d’affaires sulfureux a été condamné à 33 ans de prison pour avoir détenu des avoirs à l’étranger sans en informer la Banque centrale.

Aujourd’hui, des figures parmi les plus respectées du pays sont en prison pour des faits dérisoires au regard des peines prononcées : Ahmed Souab, Ahmed Néjib Chebbi ou Ayachi Hammami. Chacun à son tour, ils ont mis à nu une justice tunisienne qui ne s’embarrasse plus du scandale, tant ceux-ci s’accumulent presque chaque semaine.

Abir Moussi, un révélateur plus qu’un symbole

Abir Moussi marque, comme les autres, l’histoire noire de cette justice. Mais, légèrement plus que les autres, elle prend un malin plaisir à démontrer, point par point, les violations qu’elle subit. Elle explique, décortique et vulgarise. Quand Me Moussi expose ses dossiers, nul besoin d’un doctorat en droit pour comprendre ce qui cloche.

L’affaire du bureau d’ordre, d’une banalité confondante et filmée en direct, s’est transformée en douze ans de prison. Tous les Tunisiens peuvent en juger. Mieux encore, plusieurs médias internationaux ont relayé l’affaire et son absurdité manifeste.

L’acharnement judiciaire comme mode de gouvernance

Mais Abir Moussi n’a pas été inquiétée pour cette seule affaire. Le régime a profité de sa détention pour l’inculper dans d’autres dossiers, notamment pour avoir mis en doute l’indépendance de la très controversée Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).

En première instance, elle a été condamnée à deux ans de prison. En appel, elle s’est retrouvée face à un juge qui avait lui-même été membre de l’Isie. Elle l’a récusé et l’a publiquement dénoncé. Dans n’importe quel État de droit, un tel conflit d’intérêts serait immédiatement reconnu. Pas en Tunisie.

Ayant déjà purgé sa peine, la présidente du PDL aurait dû être libérée. L’administration pénitentiaire a pourtant refusé. Devant le juge, sans avocat, elle a posé une question d’une simplicité redoutable : « Dites-moi dans quel état je suis, monsieur le juge. Suis-je devant vous en état de liberté ou en état de détention ? » Le tribunal a mis cette question en délibéré et n’a jamais donné de réponse.

Non content de la maintenir en prison, le régime a multiplié les actes de harcèlement durant sa détention. Combien de fois a-t-elle été empêchée de voir ses enfants, pourtant munis d’autorisations judiciaires ? Combien de fois a-t-elle été privée de sommeil, ou même d’un simple seau pour s’asseoir dans sa cellule ?

En prison comme devant les tribunaux, Abir Moussi n’a cessé de mettre à nu le régime. Le verdict de vendredi dernier ressemble à une réponse enfantine d’un pouvoir qui ne sait plus comment faire taire ses adversaires. Alors il réprime encore, et ajoute l’absurde à l’absurde.

La bête noire de tous les régimes

Abir Moussi est aujourd’hui l’une des bêtes noires du régime de Kaïs Saïed. Mais, à vrai dire, elle a été la bête noire de presque tous les régimes depuis la révolution. Seul Béji Caïd Essebsi l’a ménagée.

Dès 2011, elle est poursuivie pour une prétendue agression d’un avocat et pour possession d’une arme dans l’enceinte du palais de justice. Les témoignages sont pourtant nombreux à affirmer qu’elle était la victime de l’agression. Quant à l’arme, il s’agissait d’un simple aérosol d’autodéfense.

Entre 2019 et 2021, élue députée, elle connaîtra l’enfer au parlement. Beaucoup lui reprochent son comportement excessivement bruyant, parfois théâtral, sous l’hémicycle.

Mais un point fondamental est trop souvent occulté. Abir Moussi a presque toujours été dans la réaction, rarement dans l’initiative. Ce n’est pas elle qui ouvrait les hostilités, mais ceux qui violaient le règlement intérieur sous la présidence de Rached Ghannouchi.

Lorsqu’elle portait un casque ou observait un sit-in, c’était pour protester contre l’entrée, dans l’enceinte du parlement, d’un individu classé, invité par les députés du parti islamiste radical Al Karama. Elle a subi une hostilité constante, devenue obsessionnelle. Elle a même été agressée physiquement à deux reprises par ces islamistes radicaux, qui ne se contentaient plus de l’invectiver, de l’humilier et de la harceler.

Une adversaire irréductible de l’arbitraire

Abir Moussi n’est pas seulement la bête noire de ce régime. Elle est la bête noire de tous ceux qui ne respectent pas les lois, qui bafouent le droit, qui piétinent la République et qui abîment la Tunisie.

Abir Moussi n’est ni une héroïne mythifiée ni une martyre autoproclamée. Elle est une femme politique qui connaît le droit, qui l’utilise, qui s’y accroche, et qui refuse de plier, même quand le prix à payer est la prison, l’isolement et l’humiliation. Elle encaisse, elle documente, elle explique, elle expose. Là où d’autres se taisent ou se perdent dans des slogans, elle démonte méthodiquement les mécanismes de l’injustice qu’elle subit. C’est précisément ce courage froid, procédurier et obstiné qui la rend si dérangeante. Non pas ce qu’elle dit, mais ce qu’elle prouve.

Mais à force de transformer des banalités juridiques en crimes d’État, le régime révèle surtout sa fébrilité. En multipliant les décisions absurdes, il ne fait pas disparaître ses adversaires : il les fabrique. Il crée des victimes, il érige des figures de résistance et il attire l’attention là où il aurait pu laisser l’oubli faire son œuvre. À chaque condamnation démesurée, à chaque dossier monté de toutes pièces, le pouvoir abîme un peu plus son image et celle de la Tunisie. En piétinant aussi ouvertement l’État de droit, il ne montre pas sa force, mais sa peur. Et cette peur, désormais, se voit.

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5 commentaires

  1. tanit

    15 décembre 2025 | 22h39

    Un article de pro en journalisme et en analyse politique.
    Bravo NB !

  2. Scarlett Tara

    15 décembre 2025 | 22h03

    Excellent article,tout est dit

  3. Rabii Bannouri

    15 décembre 2025 | 21h55

    BRAVO!

  4. ZARZOUMIA

    15 décembre 2025 | 17h23

    Mais bien sûr voyons ! TOUT EST BON pour ( ESSAYER DE CASSER ) la bête noire des MORFALES ! le problème c’est qu’is vont se casser les dents , perdre du poids et perte de cheveux SANS QU’ILS Y ARRIVENT …

  5. Hannibal

    15 décembre 2025 | 16h19

    C’est comme un ch… qui court derrière une voiture parce qu’il en a peur.
    Un conseil : il n’a pas intérêt à s’aventurer du côté de Tunis…
    La médiocrité quand tu nous tiens…