Face à l’érosion continue du pouvoir d’achat des retraités, la Loi de finances 2026 promet une revalorisation des pensions et un allègement fiscal progressif. Sur le papier, les mesures sont ambitieuses. Dans la réalité, leur impact dépendra de leur mise en œuvre et de leur capacité à suivre une inflation qui continue de rogner les revenus fixes.
À Tunis comme dans les régions, la retraite n’est plus synonyme de repos, mais d’arbitrages permanents.
Mohamed, ancien haut cadre de la fonction publique aujourd’hui retraité, explique que sa pension de 1800 dinars « ne suffit plus à couvrir les charges fixes ». Après le loyer, l’électricité, l’eau et les médicaments, il ne reste presque rien. Les loisirs ont disparu, les visites familiales se font plus rares, et chaque dépense imprévue devient une source d’angoisse.
Même constat pour Aïcha, ancienne employée du secteur privé. Elle raconte avoir modifié son alimentation, repoussé certains soins médicaux et réduit son aide à ses enfants, pourtant eux-mêmes en difficulté. « La pension n’a pas baissé, mais la vie, elle, a explosé », résume-t-elle.
Ces situations sont devenues la norme. Depuis plusieurs années, les revalorisations successives n’ont jamais compensé la hausse réelle du coût de la vie. Avec une inflation officielle estimée à 4,9 %, et des hausses dépassant 20 % pour plusieurs produits alimentaires, les ajustements opérés jusque-là ont surtout permis de limiter la casse, sans restaurer le pouvoir d’achat perdu. Résultat : le rythme de vie des retraités s’est mécaniquement contracté, parfois brutalement.
Ce que prévoit la Loi de finances 2026 pour les pensions
Face à cette réalité sociale, la Loi de finances 2026 introduit un double dispositif destiné à améliorer la situation des retraités.
Première mesure : une revalorisation légale des pensions de retraite pour les années 2026, 2027 et 2028. Elle concerne l’ensemble des retraités, du secteur public comme du secteur privé. Le principe est inscrit dans la loi, mais les taux précis d’augmentation ne sont pas encore fixés. Ils devront être déterminés par des textes d’application attendus au début de l’année 2026. Or, c’est précisément dans ces détails que se jouera l’efficacité réelle de la mesure.
Deuxième mesure : un allègement fiscal progressif sur les pensions. À partir de 2027, l’abattement fiscal appliqué aux pensions augmentera graduellement, passant à 30 % en 2027, 40 % en 2028, puis 50 % en 2029, contre 25 % actuellement.
Par ailleurs, les retraités percevant moins de 5.000 dinars de revenu annuel continueront de bénéficier d’une exonération totale de l’impôt sur le revenu.
Cette approche combine donc une hausse nominale des pensions et une amélioration du revenu net par la fiscalité.
Ce que ces mesures changeront concrètement pour les retraités
Dans les faits, l’impact réel de ces dispositions sera progressif et différencié.
Sur la revalorisation elle-même, tout dépendra des pourcentages retenus par le gouvernement. Tant que ces taux ne sont pas connus, il est impossible de dire si les augmentations couvriront réellement l’inflation ou si elles se limiteront, une fois encore, à un rattrapage partiel. La loi crée un cadre, mais pas encore une garantie de pouvoir d’achat.
En revanche, l’allègement fiscal constitue le levier le plus tangible à moyen terme. Aujourd’hui, la majorité des pensions est lourdement imposée, ce qui réduit fortement le revenu disponible des retraités. En élargissant progressivement l’abattement, l’État agit directement sur le revenu net perçu, sans attendre une hausse du montant brut.
Selon l’analyse de l’ancien ministre et expert en droit du travail Hafedh Laamouri, cette réforme fiscale représente une revalorisation indirecte mais structurelle des pensions. Elle ne gonfle pas artificiellement les montants affichés, mais redonne du souffle au pouvoir d’achat réel.
À l’horizon 2029, l’effet cumulé de l’élargissement des abattements pourrait se traduire par une amélioration du revenu net pouvant atteindre environ 25 %, toutes choses égales par ailleurs.
Pour les retraités les plus modestes, l’exonération totale d’impôt constitue une protection essentielle. Pour les classes moyennes, la réforme fiscale pourrait enfin desserrer un étau devenu intenable.
Subsiste toutefois une inconnue majeure : le calendrier et la volonté politique. Sans décrets rapides, sans taux de revalorisation significatifs et sans suivi rigoureux, la promesse inscrite dans la loi risque de se heurter, une fois de plus, à la réalité des fins de mois.
Une revalorisation face à une inflation qui ne dit pas son nom
Au-delà des annonces, une question centrale demeure, que ni la Loi de finances 2026 ni ses défenseurs ne tranchent vraiment : les 25 % d’amélioration du revenu net évoqués à l’horizon 2029 suffiront-ils à rattraper l’inflation réellement subie par les retraités ?
Sur le papier, l’argument est séduisant. Une hausse cumulée de 25 % en trois ans semble substantielle. Mais dans la vie quotidienne, les retraités ne consomment pas une « moyenne nationale ». Ils remplissent un panier précis : alimentation, énergie, santé, transport et logement. Or, sur plusieurs de ces postes, l’inflation réelle dépasse largement les 4,9 % officiellement annoncés.
Pour certains produits alimentaires de base, les hausses atteignent déjà 20 à 25 % sur une seule année. Huiles, céréales, viandes, produits laitiers ou fruits et légumes pèsent bien plus lourd dans le budget des retraités que dans celui des ménages actifs. Dans ces conditions, une revalorisation étalée dans le temps risque de courir après une inflation qui, elle, n’attend pas.
Cette divergence s’explique aussi par les limites de l’indicateur officiel. Le taux d’inflation repose sur un panier de consommation dont la pondération n’a pas été actualisée depuis près de dix ans. Or, en une décennie, les habitudes de consommation ont profondément changé, notamment pour les personnes âgées. Santé, soins, médicaments, énergie et alimentation y occupent désormais une place bien plus importante. Résultat : l’inflation vécue est souvent supérieure à l’inflation mesurée.
Dans ce contexte, la promesse d’un gain de 25 % d’ici 2029 pourrait, dans le meilleur des cas, stabiliser le niveau de vie, sans compenser pleinement les pertes accumulées. Il s’agirait moins d’un rattrapage que d’un freinage.
Le regard à l’international : quand la retraite est indexée, pas ajustée
La comparaison internationale éclaire encore davantage le débat.
En France, par exemple, les pensions sont indexées automatiquement sur l’inflation, même si cette indexation peut être partielle ou modulée selon les contraintes budgétaires. Le principe reste clair : éviter que le pouvoir d’achat des retraités ne décroche durablement. Lorsque l’inflation accélère, les pensions suivent, parfois avec un léger décalage, mais sans remise en cause du mécanisme.
Ce choix traduit une vision selon laquelle la retraite n’est pas une variable d’ajustement budgétaire, mais un revenu différé qui doit conserver sa valeur dans le temps. Dans plusieurs pays européens, des dispositifs complémentaires protègent les petites pensions par des revalorisations ciblées ou des aides liées au coût de la vie.
En Tunisie, l’approche reste différente. Les revalorisations sont discrétionnaires, décidées par la loi ou par décret, souvent sous contrainte budgétaire, et rarement alignées sur l’évolution réelle des prix. L’allègement fiscal prévu par la Loi de finances 2026 va dans le bon sens, mais il demeure indirect et progressif, sans remplacer une indexation claire et transparente.
Entre promesse politique et réalité économique
Au fond, la Loi de finances 2026 pose une intention plus qu’elle n’apporte une réponse définitive. Elle reconnaît implicitement que les retraités ont été les grands perdants de l’inflation récente et tente d’y répondre par un compromis : une revalorisation encore floue et une réforme fiscale étalée dans le temps.
Mais pour des retraités dont le pouvoir d’achat s’est déjà érodé, le temps est un luxe qu’ils n’ont plus. Chaque année sans ajustement réel creuse l’écart entre les chiffres officiels et le coût réel de la vie. Chaque hausse de prix non compensée se transforme en renoncement : à un soin, à une aide familiale, à une alimentation de qualité.
La vraie question n’est donc pas seulement de savoir si les pensions augmenteront, mais si elles augmenteront assez vite et assez justement. Tant que l’inflation réelle ne sera pas pleinement intégrée dans les mécanismes de revalorisation, le risque demeure que les annonces d’aujourd’hui deviennent les déceptions de demain.
Et pour une génération qui a travaillé toute sa vie, l’enjeu dépasse la technique budgétaire : il touche à la dignité même de la retraite.
Raouf Ben Hédi










