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Le pouvoir et son « vrai peuple » dans la rue, ou l’aveu maquillé

Par Ikhlas Latif

Il fallait oser. Oser transformer une commémoration de la révolte en procession de fidélité, en cérémonie d’allégeance. Oser, surtout, appeler cela « le peuple ».

Le 17 décembre, date décrétée fête de la Révolution par décision présidentielle, le pouvoir a donc choisi de descendre dans la rue … pour se faire applaudir. Une manifestation soigneusement préparée, méthodiquement organisée, convoyée à coups de près de 200 bus venus des régions, déversant à Tunis des foules chauffées à blanc, brandissant le portrait du président comme une relique, psalmodiant les slogans et éléments de langage du régime avec une ferveur mystique.

Personne n’a tiqué. Personne ne s’est demandé comment des sociétés publiques se retrouvent mobilisées au service d’une manifestation politique d’allégeance. Personne n’a interrogé le financement, ni le coût, ni la légitimité d’une telle mobilisation. Utilisation des moyens de l’État à des fins partisanes ? Voyons, ne soyons pas mesquins. Quand il s’agit du « vrai peuple », les règles comptables deviennent soudain accessoires.

À l’aube, Kaïs Saïed lui-même est descendu bénir la foule, dans un geste hautement symbolique : le chef qui vient adouber ses troupes, consacrer la scène, valider l’image. Le pouvoir se donne à voir. Il se met en spectacle.

Pour éviter la caricature, disons-le clairement : il n’y avait pas là une foule homogène. On y a vu des députés acquis à la cause, des élus locaux zélés, des bénéficiaires de sociétés communautaires, des responsables régionaux en quête de survie politique, et aussi, il faut le dire, des citoyens modestes happés par la machine de la propagande, atteints de ce mal ancien et universel : la flagornerie chronique, qui traverse les régimes, survit à tout et prospère à l’ombre des pouvoirs autoritaires.

Et il y avait surtout des scènes qui font honte. Des individus tellement emportés par la ferveur qu’ils en viennent à déblatérer des insanités, à se rouler littéralement par terre, à confondre engagement politique et abandon de toute dignité.

Le président et le fantasme du “vrai peuple”

Le lendemain, au palais de Carthage, en recevant sa cheffe du gouvernement, le président a livré sa lecture de l’événement. Une lecture révélatrice.

Dans un communiqué lyrique et martial, Kaïs Saïed explique que le peuple tunisien a donné une « leçon historique », qu’il a exprimé une « conscience profonde », une connaissance parfaite des « vérités les plus pointues ». Mieux encore, cette foule aurait donné un blanc-seing définitif à sa « guerre de libération nationale ». La rue, sa rue à lui, devient plébiscite.

Dans cet exercice de déni spectaculaire, le président tranche. Ceux qui étaient là sont le vrai peuple, parce qu’ils portaient sa parole et son image. Les autres – comprendre l’opposition, les manifestants contestataires, les voix dissidentes – sont renvoyés au pilori. Traîtres. Pourris. Agents.

La société est ainsi découpée en deux catégories simples, commodes, dangereuses : le peuple pur, honnête, national, incarné par les manifestants pro-régime ; et les autres, disqualifiés moralement, politiquement, humainement.

A ce stade, ce n’est plus une divergence politique. C’est une excommunication.

Quand le pouvoir manifeste, il avoue

Mais au-delà de la mise en scène et de la rhétorique, une question centrale s’impose. Pourquoi le pouvoir a-t-il ressenti le besoin de descendre dans la rue ?

Une autorité qui manifeste pour prouver sa popularité et sa légitimité, c’est un signe de fébrilité. Parce que le pouvoir ne se mesure pas à la taille des foules ni au volume des slogans, mais à sa capacité de gouverner, d’améliorer concrètement les conditions de vie et de produire des politiques publiques. La manifestation est l’arme de ceux qui n’ont pas le pouvoir, pas de ceux qui le concentrent.

L’histoire tunisienne récente est pourtant éloquente. Le 13 janvier 2011, le régime de Ben Ali, à bout de souffle, avait tenté une ultime démonstration de rue. Ce fut son aveu final. Quelques heures plus tard, le système s’effondrait. En 2021, Ennahdha avait fait pareil. Quelques mois plus tard son effondrement politique était acté.

Ce n’est donc pas une preuve de force, mais un aveu d’impuissance. Un pouvoir qui gouverne et qui descend dans la rue reconnaît qu’il n’est plus capable d’agir de l’intérieur de l’État. Quand le pouvoir manifeste à la recherche des applaudissements, c’est qu’il a déjà entamé sa phase de dégringolade.

Par ailleurs, l’histoire est cruelle avec les pouvoirs qui confondent ferveur organisée et adhésion réelle. Elle l’est encore plus avec ceux qui s’entourent d’une cour de caméléons politiques, capables de manger à toutes les tables sans honte ni mémoire.

La légitimité d’un régime ne se scande pas, elle se prouve.

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4 commentaires

  1. Hannibal

    19 décembre 2025 | 22h09

    3500 sur 9000000 électeurs!
    La vue de roboflop a encore baissé, pas que la vue d’ailleurs.
    La Tunisie mérite un meilleur avenir.

  2. zaghouan2040

    19 décembre 2025 | 19h54

    Le spectacle exposé fut proprement révoltant
    On eut dit les rassemblements maraboutiques des siècles derniers où se mélairent ferveur démonstrative transes catharcisiques et imprécations hystériques
    Une démonstration de defoulour collectif rappelant les cérémonies païennes de la période ante-islamique telles qu’elles se déroulaient a Vega a Sicca ou a Mactaris
    En réalité ces manifestants reflètent l’état réel d’une grande partie de la société tunisienne : une société en détresse psychologique une société zombie c’est a dire sans reperes obsédée par le bruit et le goût du sang a la recherche permanente de victimes sacrificielles
    En cela ce régime est le fruit vivant de 40 années de putréfaction de liquéfaction de la tentative bourguibornne d’édification d’un État moderne et d’une société du savoir

  3. HatemC

    19 décembre 2025 | 17h54

    Le 17 décembre, le pouvoir n’a pas commémoré la Révolution : il l’a parodiée.
    Ce jour-là, la rue n’a pas parlé. Elle a été mise en scène.

    Une manifestation théâtrale, presque grotesque, avec ses scènes de flagornerie absurde : des cris hystériques, des gesticulations indignes, des corps se roulant au sol, comme si la perte de dignité était devenue une preuve de patriotisme.

    DANS UN PAYS QUI SE DIT MILLENAIRE, LE SPECTACLE ETAIT INDECENT

    MAIS L’AUTRE INDECENCE, lourd de symboles : le chef de la flagornerie consacre la scène, valide la fiction, officialise la mise en spectacle. Le pouvoir ne gouverne plus : il se représente.

    Mais une question demeure, centrale, implacable :
    Pourquoi un pouvoir qui se dit légitime ressent-il le besoin de manifester ?

    Le lendemain de la honte

    Et puis, le lendemain.
    Comme une gifle supplémentaire.

    Qatar Charity annonce le financement d’une école primaire à Gafsa.

    Après avoir scandé « aucune ingérence étrangère », l’État tunisien tend la main à une ONG étrangère controversée pour financer l’école publique.
    Après avoir parlé de souveraineté, il accepte que l’éducation — fonction régalienne par excellence — dépende de la charité extérieure.

    Là, la contradiction n’est plus politique. Elle est obscène.
    La Tunisie n’est pas humiliée par des acteurs extérieurs.
    Elle s’auto-humilie, avec méthode, discipline et mise en scène ….

    Quand une école n’enseigne ni la dignité ni l’esprit critique, elle ne fabrique pas des citoyens, mais des figurants du régime…. HC

    • Mhammed Ben Hassine

      21 décembre 2025 | 10h37

      [Ceux qui étaient là sont le vrai peuple]
      Les autres …!?
      Que nous reste t il qu’on nous chasse et en finir