Épisode 1 – Quand 3 500 personnes deviennent « le peuple »
Mercredi 17 décembre, Tunis a accueilli une manifestation de soutien au régime de Kaïs Saïed. Environ 3.500 personnes, venues dire non à l’ingérence étrangère et oui au président. Aussitôt, les réseaux sociaux disciplinés et les médias de propagande ont parlé d’un « succès populaire », certains affirmant même que le peuple avait enfin dit son mot. Le président de la République a repris ce lexique, assimilant sans nuance ces manifestants à tout le peuple tunisien, comme si la nation s’était donnée rendez-vous avenue Habib Bourguiba.
Sauf que la réalité a cette fâcheuse manie de résister aux slogans.
Cette manifestation n’est pas née spontanément. Elle a été préparée pendant des semaines. Mobilisation intensive sur les réseaux sociaux, relais permanents dans les médias acquis au pouvoir, implication directe des députés des régions, et présence visible de représentants de l’État. Le jour J, des dizaines de bus stationnaient autour de l’avenue Habib Bourguiba, ayant acheminé des participants depuis l’ensemble du pays. Rien qu’avec l’appareil régional mobilisé — députés, réseaux locaux, soutiens institutionnels — le nombre de manifestants aurait dû être bien supérieur aux 3 500 présents.
Et pourtant.
À l’inverse, les manifestations de l’opposition observées ces quatre derniers samedis n’ont bénéficié d’aucune logistique d’État. Pas de bus. Pas de mobilisation des députés, ni des délégués, ni des omdas. Pas de campagne préalable orchestrée. Ces rassemblements étaient spontanés, portés par des citoyens venus par leurs propres moyens. Les chiffres étaient comparables, parfois supérieurs, parfois inférieurs. Mais jamais, curieusement, les médias de propagande n’ont parlé du « peuple » à leur sujet.
Autre différence flagrante : la nature des cortèges. Dans les manifestations de l’opposition, on croise des universitaires, des chefs d’entreprise, des journalistes reconnus, des écrivains, des artistes, des militants associatifs. Une sociologie identifiable, diverse, assumée. Le 17 décembre, le spectacle relevait davantage du théâtre de rue que du débat citoyen. Des scènes filmées ont montré des participants se roulant littéralement sur le bitume pour clamer leur loyauté, d’autres expliquant avec un sérieux confondant que leurs maladies avaient disparu depuis l’arrivée de Kaïs Saïed au pouvoir. On n’était plus dans l’argument politique, mais dans la mise en scène clownesque. Tandis que les uns expriment la désapprobation dans la mesure, les autres font de la dévotion dans le folklore.
Malgré cela, les médias de propagande persistent. Ils parlent de « message clair », de « peuple qui tranche », de « démonstration irréfutable ». Ils dessinent un succès à coups de titres emphatiques et d’images soigneusement sélectionnées, comme si répéter un mensonge suffisait à le transformer en réalité.
Les partisans du régime reprochent souvent à l’opposition son mépris du peuple. L’argument est commode. Mais les faits sont têtus. Quantitativement, la manifestation du 17 décembre n’a rien d’exceptionnel et bien en deçà des prévisions et de la logistique mobilisée. Qualitativement, elle est surtout révélatrice d’un pouvoir qui confond ferveur et mise en scène, adhésion et caricature.
Kaïs Saïed et ses laudateurs peuvent bien crier victoire, se convaincre qu’ils incarnent le peuple et s’applaudir entre eux. C’est humain, après tout, de s’accrocher à une illusion rassurante. Mais l’histoire politique est constante : quand un pouvoir confond mobilisation encadrée et adhésion populaire, ce n’est pas le peuple qui se trompe. C’est le pouvoir qui commence à se parler tout seul.
Épisode 2 – Le président oublie ceux qu’il préside
Le lendemain de la manifestation du 17 décembre, Kaïs Saïed a tenu un discours solennel — du moins selon les titres triomphalistes de certains médias — affirmant que le peuple tunisien avait envoyé un message clair à la nation. Il a célébré la mobilisation, exalté la souveraineté nationale, parlé de reddition des comptes et condamné « les conspirateurs ».
C’est beau, c’est lourd de rhétorique, ça sonne presque comme un appel à l’unité nationale.
Presque.
Car dans les faits, ce discours oublie un détail constitutionnel fondamental : le président de la République n’est pas seulement le président de ses laudateurs, mais le président de tous les Tunisiens — y compris de ceux qui se sont levés samedi après samedi pour exprimer leur désaccord avec sa politique. Ceux qui ont répondu à l’appel de la démocratie, non pas à celui de la rhétorique d’État.
Le président a vanté la « conscience collective » et la connaissance des réalités du pays, tout en dénonçant des forces mystérieuses contre lesquelles il faudrait s’unir.
Pourtant, il n’a pas pris une seule seconde pour reconnaître que des milliers de citoyens — universitaires, chefs d’entreprise, journalistes, activistes, artistes — manifestent depuis plusieurs semaines pour faire entendre une autre voix.
Ces voix ne rentrent pas dans la narrative monolithique du « peuple ».
On pourrait croire que dans une démocratie, le message populaire clair ne peut être l’apanage d’un seul camp. Qu’un chef d’État responsable regarde au-delà des rangs organisés d’un rassemblement préparé et réfléchit aux motifs réels de la colère et des appels à changement qui résonnent dans les rues chaque samedi.
Mais non : pour le chef de l’État, le peuple a parlé le 17 décembre, et probablement pas les autres jours.
C’est là l’oubli le plus embarrassant du discours présidentiel : être le président de ceux qui sont contre soi est tout aussi essentiel que l’être de ceux qui vous acclament. Ignorer cette réalité, c’est cliver davantage une nation déjà fracturée, renforcer l’idée que certaines voix sont jugées plus « légitimes » que d’autres, et minimiser l’existence même de divergences politiques — ce qui est le propre du débat démocratique.
Rappelons pour finir que le peuple tunisien n’est pas une entité unidimensionnelle. Il comprend les classes populaires, certes, mais aussi l’élite, les bourgeois, les nantis, les intellectuels, les entrepreneurs et les citoyens critiques. Tous font partie d’une même communauté politique. Les exclure de la définition du peuple, c’est faire de la politique un spectacle, non une représentation démocratique.
Kaïs Saïed continue son verbiage jour après jour. Mais à force de ne regarder que ceux qui applaudissent, il risque d’oublier ceux qu’il préside réellement. « Le président de tous » ne devient pas une réalité parce qu’on le proclame ; il le devient quand on inclut toutes les voix dans l’espace public.
Épisode 3 – Le peuple invisible et les récits réinventés
Si la Tunisie était un plateau de cinéma, le mercredi 17 décembre à Tunis aurait été la scène principale du grand film sur le peuple tunisien. Les bus venus de toutes les régions, les réseaux sociaux matraqués depuis des semaines, les députés mobilisés comme figurants professionnels, tout y était. Le scénario officiel, répété à satiété par les médias de propagande, voulait que 3.500 voix deviennent la voix de la nation entière – une représentation complète et définitive du « peuple ». C’est beau, c’est puissant, c’est… légèrement réducteur.
Pendant ce temps-là, ce même 17 décembre, à près de 400 kilomètres de là, à Gabès, la colère n’a pas attendu les bus ni les hashtags sponsorisés. On y a vu une manifestation tout aussi massive qu’à Tunis, rassemblant des milliers de personnes déterminées à réclamer des solutions concrètes à la pollution industrielle et à l’échec de l’État. Une révolte citoyenne enracinée dans une souffrance réelle, loin des caméras officielles et des titres triomphalistes. Et pourtant, comme si Gabès ne faisait pas partie de la Tunisie, comme si ses habitants n’étaient pas des Tunisiens légitimes, cette mobilisation a été tue médiatiquement. Rien, silence, comme si la ville et ses voix avaient été effacées du récit national.
Pour occuper l’espace vide laissé par ces media muets, l’État a ressorti un personnage sorti presque d’un autre film : Ali Ben Hammoud, l’ingénieur en pétrochimie chargé d’élaborer des solutions pour Gabès… mais dont le rapport semble s’être volatilisé aussi efficacement que l’air pur dans la ville même. Un mois et dix jours après avoir été reçu à Carthage et salué pour son « sens de responsabilité nationale », on n’a vu ni plan d’action concret, ni mesures immédiates appliquées, juste une commission bien positionnée pour déclencher des déclarations et des communiqués — exactement ce que l’on fait quand on veut donner une impression plutôt que produire un changement.
Quand on regarde de près, cette dynamique est symptomatique. Le pouvoir proclame un message populaire clair à partir d’un rassemblement orchestré, mais ignore ou minimise les autres voix du pays : ceux qui réclament de l’air respirable, qui manifestent depuis des mois, qui souffrent chaque jour d’une pollution que ni bus, ni slogans ne peuvent masquer. Le même président qui se dit président de tous les Tunisiens n’a pas jugé utile d’intégrer dans sa narration cette pulsation citoyenne-là, silencieuse dans les médias mais bruyante dans les rues de Gabès.
Le peuple semble donc être devenu, dans certains récits dominants, une marque déposée réservée à ceux qui s’alignent sur l’histoire officielle — et non une réalité vivante, plurielle et parfois discordante. Ce décalage entre la Tunisie officielle et la Tunisie vivante continue à creuser des fossés que la rhétorique seule ne peut combler. Et tant que ce fossé demeure, le récit du « peuple avec nous » restera une fable confortable, tandis que le peuple réel continuera à exister hors champ.











5 commentaires
HatemC
« Le peuple a parlé » : le slogan cardinal de Ben Ali recyclé
Sous Ben Ali, le régime répétait :
« Le peuple soutient le président »
« La majorité silencieuse est avec nous »
« Les opposants ne représentent qu’une minorité manipulée »
Kaïs Saïed reprend exactement la même mécanique, avec un décor différent :
3 500 personnes deviennent le peuple,
une manifestation encadrée devient un message national,
les autres mobilisations deviennent inexistantes ou illégitimes.
Comme sous Ben Ali, le peuple n’est plus une réalité sociale plurielle, mais un slogan de légitimation.
En reprenant les slogans de Ben Ali — peuple unique, complot permanent, souveraineté incantatoire — Kaïs Saïed ne gouverne pas la Tunisie : il rejoue un pouvoir déjà condamné par l’histoire….
Va Falloir Lui Botter Le Derch à Cet Imposteur … HC
zaghouan2040
Ce pouvoir n’est pas un pouvoir politique
C’est un délire individuel un inconcevable fantasme onirique de potaches adolescent se voulant projet politique
Un fantasme individuel transformé en hallucination collective
La preuve choquante de cette aberration est l’état d’esprit- de délire, plutôt- qui a prévalu mord de la manifestation de soutien au régime
On eut dit les rassemblements maraboutiques des siècles derniers où se mélaient convulsions hystériques de matrones possédées d’imprecations névrotiques dignes des mystères romains et de defouloir collectif propre aux ultras des virages
L’expression concrètement compacte de l’incroyable decheance morale et éthique je dirais existentielle de toute une Nation
Inconscient comme d’habitude de l’obscénité créée le pouvoir revendique benoîtement sa légitimité massive auprès du peuple
Encore un fantasme onirique de plus
En attendant une crise sociale aux conséquences incalculables se rapproche
le financier
Chaque semaine une ville rentrera en opposition jusqu a la chute , voila a quoi mene l incompetence
zaghouan2040
Je crois qu’il faut s’attarder sur la mobilisation pro-Saed de samedi dernier
Elle n’est pas anecdotique dans le sens où l’état d’esprit de beaucoup de manifestants est particulièrement révélateur
Révélateur d’une société profondément malade et d’un désordre psychologique collectif
Car il est inconcevable,en 2026,quinzes années après le 14 janvier 2011, de constater des comportements aussi moyenâgeux, grotesques,obscenes meme, en guise d’expression de soutien structurel au pouvoir en.place,
Il y a là une déchéance,une aliénation collective terribles
Ceci est aggravé par le fait que le régime assume parfaitement le fait que ces gens sont représentatifs du « projet » du 25 juillet et qu’ils sont la Tunisie de demain
C’est la folie grotesque qui est à l’oeuvre ce n’est plus un pays c’est un carnaval minable de caniveau
Ceci se retrouve concrètement partout dans l’action publique
Retenons l’exemple du traitement de l’utgence sanitaire et environnementale de Gabès : c’est une clownerie glaçante irréaliste
Une équipe dénuée des compétences nécessaires malgré sa bonne volonté
Une etjodologie d’intervention loufoque débile indécente même au regard des enjeux :
Pas de diagnostic sanitaire dans les règles de l’art fondé sur une étude statistique et la démonstration de liens de cause à effet alors que les données sont immédiatement disponibles et s’étalent sur 50 années au moins
Pas d’analyse sérieuse des causalités c’est-à-dire pas d’approche scientifique déterministe ce qui est une aberration absolue
Pas d’analyse scientifique de l’impact environnemental et sociétal global de l’activité des unités du Groupe Chimique sur le territoire du gouvernorat
Pas d’analyse et encore moins de caractérisation sérieuse des risques sanitaires environnementaux et socio-économiques
En conséquence, impossibilité de concevoir et déployer un plan cc orrectif et préventif sérieux
C’est une clownerie digne des pieds nickelés du n’importe quoi appliqué à une tentative de désamorcage d’une bombe nucléaire
Et il faut bien comprendre que ce pouvoir est absolument persuadé qu’il agit dans ce dossier comme dans tous les autres,de manière adéquate et efficiente
Hannibal
Quelle est la solution à ce problème ?
Un référendum en ligne où les 9000000-3500 environ sont invités à s’exprimer si oui ou non la Tunisie mérite mieux. Mais il faut trouver un moyen de s’exprimer d’une façon anonyme tout étant bien authentifié. A creuser!