En pleine trêve de fin d’année, la présidence de la République a enclenché une procédure éclair pour faire adopter trois projets de loi qui touchent au cœur des relations commerciales entre la Tunisie et l’Union européenne. Élaborés jeudi 25 décembre, transmis au Parlement vendredi 26, soumis dès ce lundi 29 à l’audition du ministre du Commerce, ces textes devraient être votés en plénière mercredi 31 décembre. Un calendrier inédit, une urgence introuvable, et une opacité qui interroge.
Alors que le pays s’enfonce dans une crise économique persistante, le pouvoir exécutif a choisi la voie de la précipitation pour faire adopter trois projets de loi engageant en profondeur les relations de la Tunisie avec l’Union européenne. En l’espace de quelques jours à peine, des textes structurants ont été déposés, transmis, examinés et programmés pour un vote parlementaire, sans véritable débat public, ni pédagogie, ni transparence.
Le calendrier interroge. Jeudi 25 décembre, la présidence de la République élabore trois projets de loi touchant au cœur des accords liant la Tunisie à l’Union européenne. Le vendredi 26, ces textes sont transmis à l’Assemblée des représentants du peuple. Lundi 29 décembre, le ministre du Commerce est auditionné par la commission compétente. Et, selon plusieurs sources concordantes, une séance plénière est programmée pour le mercredi 31 décembre afin d’en acter l’adoption.
En moins d’une semaine, un pan entier de la relation euro-méditerranéenne serait ainsi redéfini, dans une atmosphère de précipitation rarement observée.
Trois textes, une même orientation
Les trois projets soumis à l’Assemblée forment un ensemble cohérent, bien que juridiquement distinct.
Le premier, le projet de loi n°119/2025, concerne la modification du protocole B de l’accord de libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne. Il touche aux modalités d’échange de marchandises et à l’architecture technique des relations commerciales bilatérales.
Le deuxième, le projet de loi n°120/2025, porte sur l’amendement de l’accord euro-méditerranéen instituant le partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne. Il s’agit d’un texte-cadre, à portée politique et stratégique, qui définit les fondements mêmes de la relation entre les deux parties.
Le troisième, le projet de loi n°121/2025, concerne la modification des règles d’origine préférentielles applicables dans l’espace euro-méditerranéen. Derrière un vocabulaire technique, ce texte détermine concrètement quelles productions peuvent bénéficier d’un accès préférentiel au marché européen — un enjeu central pour l’industrie et l’exportation tunisiennes.
Pris ensemble, ces trois projets redessinent en profondeur le cadre des échanges tuniso-européens. Pris isolément, ils pourraient sembler techniques. Présentés simultanément et traités dans l’urgence, ils prennent une tout autre dimension.
Que disent les trois accords que la Tunisie veut modifier unilatéralement ?
Les trois accords qui font l’objet des projets de loi actuellement examinés par le Parlement tunisien s’inscrivent tous dans le cadre des relations commerciales et économiques entre la Tunisie et ses partenaires européens, mais ils n’ont pas la même nature juridique ni la même portée opérationnelle.
Le premier, l’Accord de libre-échange entre la Tunisie et les États de l’Association européenne de libre-échange (AELE) — qui rassemble l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse — est un accord bilatéral classique de libéralisation des échanges de biens. Il prévoit notamment l’élimination progressive des droits de douane sur la plupart des produits industriels et transformés, des dispositions spécifiques pour certains produits agricoles, ainsi que des mécanismes administratifs de coopération douanière et de règles d’origine permettant de déterminer quelles marchandises peuvent bénéficier des préférences tarifaires accordées entre les parties.
Par contraste, le deuxième accord, l’Accord d’association euro-méditerranéen entre l’Union européenne et la Tunisie est un cadre juridique beaucoup plus large, conclu dans les années 1990, qui ne se limite pas à la suppression des droits de douane mais établit une relation politique, économique et commerciale globale. Il couvre non seulement le commerce des biens, mais aussi les services, les investissements, la concurrence, la propriété intellectuelle, la coopération technique et le dialogue institutionnel, avec pour objectif à terme l’établissement d’une zone de libre-échange approfondie et complète entre la Tunisie et l’UE.
Enfin, le troisième texte, relatif aux règles d’origine préférentielles euro-méditerranéennes, ne crée pas un accord autonome mais précise et harmonise les critères d’origine appliqués dans le cadre des zones de libre-échange euro-méditerranéennes existantes (dont celui résultant de l’accord d’association avec l’UE). Ces règles d’origine définissent les conditions selon lesquelles un produit est considéré comme étant originaire d’un pays partenaire et peut ainsi bénéficier de préférences tarifaires dans les échanges avec l’UE. Elles sont essentielles pour le fonctionnement effectif des régimes préférentiels car elles fixent les seuils et les critères techniques (transformation substantielle, valeur de composants, changements de classification tarifaire, etc.) qui permettent de déterminer l’origine d’un produit.
En résumé, le premier accord est un instrument de libéralisation bilatérale avec les pays de l’AELE, le second est un cadre d’association global avec l’Union européenne, et le troisième porte sur les modalités techniques qui conditionnent l’accès préférentiel aux marchés en fonction de l’origine des produits.
Ensemble, ces trois textes juridiques structurent les règles du jeu des échanges tuniso-européens, mais chacun opère à un niveau différent : libéralisation tarifaire, partenariat institutionnel et critères techniques d’application des préférences.
Une urgence sans explication
Lundi 29 décembre, la commission des relations extérieures, de la coopération internationale et des Tunisiens à l’étranger tient une réunion consacrée à l’examen des trois projets de loi. À cette occasion, le ministre du Commerce et du Développement des exportations, Samir Abid, est convoqué pour être auditionné par les députés.
Cette audition intervient dans un contexte pour le moins singulier. Les membres de la commission ont eu seulement le week-end pour examiner les trois projets de loi. Quant aux députés appelés au vote mercredi, ils n’auront eu que cinq jours. Une célérité inhabituelle pour des textes engageant des choix stratégiques majeurs, tant sur le plan économique que politique.
À ce stade, aucune communication officielle n’a été rendue publique sur le contenu détaillé des projets, ni sur les motivations précises ayant conduit à leur examen en procédure accélérée. Aucun document explicatif n’a été diffusé, aucun débat public n’a précédé leur transmission au Parlement, et aucune justification n’a été fournie quant à l’urgence invoquée.
La tenue de cette audition soulève également des interrogations institutionnelles. Alors que les textes concernent directement les relations extérieures de la Tunisie et ses engagements internationaux, la réunion se tient en l’absence du ministre des Affaires étrangères, pourtant directement concerné par la nature même des accords examinés.
Dans ces conditions, la procédure interroge. Non seulement par sa rapidité, mais aussi par la manière dont elle semble réduire le rôle du Parlement à une étape formelle, appelée à entériner des choix déjà arrêtés ailleurs. À quelques jours de la fin de l’année, alors que l’attention publique est naturellement relâchée, le calendrier retenu renforce l’impression d’une adoption précipitée, menée sans débat approfondi ni véritable transparence.
Une réforme sans contenu explicité
Au-delà du calendrier expéditif et de la procédure cavalière, un autre élément interpelle : l’absence totale de contenu public sur les réformes envisagées. Si les trois projets de loi sont formellement déposés, aucun document explicatif n’a été rendu public permettant de comprendre précisément ce que la Tunisie entend modifier dans ses engagements vis-à-vis de l’Union européenne. Ni les amendements envisagés, ni leur portée économique, ni leurs conséquences concrètes pour les entreprises, les exportations ou les règles d’origine ne sont détaillés.
Autrement dit, le Parlement est appelé à se prononcer sur des textes dont l’essentiel demeure opaque. Les députés n’ont, à ce stade, accès qu’à l’intitulé des projets et à des références générales aux accords concernés, sans note explicative, sans étude d’impact, sans éclairage officiel sur les concessions éventuelles ou les contreparties attendues. Une situation d’autant plus troublante que ces accords structurent durablement les relations commerciales du pays avec son principal partenaire économique.
Ce flou nourrit une interrogation légitime : comment débattre, amender ou même approuver des textes dont le contenu réel n’est pas exposé publiquement ? En l’absence de transparence, la procédure ressemble moins à un exercice démocratique qu’à une formalité destinée à entériner des choix déjà arrêtés à Carthage.
Une méthode qui interroge
Cette méthode n’a pas manqué de susciter des réactions jusque dans l’hémicycle. Le député Ahmed Saïdani a publiquement dénoncé ce qu’il considère comme une contradiction flagrante entre le discours officiel et la pratique politique.
« Que ceux qui veulent comprendre la différence entre la souveraineté proclamée et la souveraineté abandonnée regardent la séance de mercredi. Même ceux qui refusent de voir comprendront alors la distance entre les discours et les actes. Et il est indigne de dénoncer chez les autres ce que l’on pratique soi-même », a écrit le député dimanche sur sa page Facebook.
Au-delà du contenu des textes, c’est la méthode qui interroge. Car gouverner, ce n’est pas seulement faire adopter des lois. C’est aussi accepter le débat, expliquer les choix, assumer les conséquences et respecter le temps démocratique.
À vouloir aller trop vite, à vouloir décider à huis clos, le pouvoir donne le sentiment de craindre la discussion. Et c’est précisément cette crainte qui nourrit la défiance.
Car lorsqu’on modifie, dans l’urgence et le silence, les règles qui encadrent les relations économiques du pays avec son principal partenaire, ce n’est pas seulement une question technique. C’est un choix politique majeur. Et ce choix mérite mieux qu’un vote expédié entre deux fêtes.
Maya Bouallégui











6 commentaires
Hannibal
Simulacre de discussion parlementaire.
Les RP peuvent même signer à blanc et aller profiter de la belle vie que leur offrent les sièges qu’ils occupent.
S’il s’avère que ces changements fragilisent les échanges avec le principal partenaire économique qu’est l’Europe, cela voudra dire que le régime est entrain de couper la branche d’arbre sur laquelle nous sommes assis.
Quel désastre !
zaghouan2040
C’est très clairement une décision hâtive bâclée irréfléchie prise sous pression directe de nos voisins algériens
Cette décision engage l’avenir du pays; et il ne s’agit pas d’un acte souverain
Mhammed Ben Hassine
Vas y tire tant qu’ils sont en vacance
Roberto Di Camerino
Ne cherchez plus : la prétendue politique étrangère tunisienne se dicte à Alger, sous l’œil du protecteur, et se met en scène à Pékin.
L’une pour rompre bruyamment avec l’Europe, l’autre pour provoquer les États-Unis.
Voilà toute la « souveraineté » du régime : une gesticulation théâtrale, des voyages symboliques et des postures virilistes pour masquer une dépendance totale et une faillite politique interne.
On se tape sur la poitrine, on crie à l’indépendance, pendant que le pays s’enfonce, isolé, appauvri et livré à l’arbitraire.
Judili58
Toutes nos relations étrangères sont opaques. Nos accords tenus « secrets » avec l’Algerie, la Chine , les USA , l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Russie etc…. Nos absences répétées aux sommets internationaux sans aucune explications. L’absence de visites officielle du chef de l’état a l’étranger aucun chef d’état étranger accueilli et on nous parle de diplomatie économique. Tout cela est considéré comme étant étranger au peuple alors que l’on parle et signe en son nom………
tizibougie
À ceux qui disent que l Algérie est derrière ces décisions,je leurs dis que dans ce cas ,vos gouvernants ne sont que des marionnettes,ils n’ont ni têtes ni cervelles . Or ,je sais qu’ils sont assez intelligents pour décider du destin de la Tunisie.
Arrêtez de mêler l Algérie à chaque fois que vous n arrivez pas à voir clair dans la politique de votre pays.
À bon entendeur salut