Aux dernières nouvelles, et selon des sources dignes de foi, l’Etat tunisien envisage d’accorder une licence à un nouvel opérateur téléphonique. Il ne s’agira pas d’un nouvel opérateur GSM, comme cela été envisagé un temps, mais d’un opérateur universel qui aura le droit de commercialiser le fixe, le GSM et la téléphonie de troisième génération (3G).
L’Etat a déjà octroyé une première licence GSM en 2002 à l’opérateur privé Orascom Telecom Tunisie (Tunisiana). Ce dernier a réalisé des résultats éloquents et des bénéfices nets record qui devraient avoisiner les 200 millions de dinars en 2008.
Montant que notre Banque Centrale va verser en devises sonnantes et trébuchantes aux actionnaires d’OTT, Orascom Telecom Holding et Qtel. En cette période de crise financière, et à la veille de la publication du cahier des charges pour le nouvel opérateur universel, il y a lieu de soulever plusieurs interrogations : Comment, tout en respectant ses engagements, garder ces devises dans le pays ? Comment faire pour que le titulaire de la nouvelle licence réinvestisse une partie de ses prévisibles bénéfices colossaux en Tunisie ? Comment réduire les bénéfices de l’opérateur étranger en exigeant une tarification moins onéreuse et plus équitable pour le consommateur ? On ne manquera pas de nous interroger finalement pourquoi ce nouvel opérateur tunisien ne serait pas tunisien tout simplement ?
C’est le rêve de tout investisseur. Gagner autant d’argent en si peu de temps. Souvenez-vous. C’était en 2002. Pour 470 millions de dollars (versés en deux fois), Orascom Telecom Holding décroche la première licence d’un opérateur GSM privé en Tunisie. Six ans plus tard, plus du quart de ce ticket d’entrée sera versé en dividendes pour la seule année 2008.
Notre calcul est basé sur les résultats trimestriels publiés la semaine dernière par Orascom Telecom Holding. On y lit que la marge brute (EBITDA) pour Tunisiana est de 295 millions de dollars au 30 septembre 2008. Extrapolant sur l’année, cette marge serait de l’ordre de 393 millions de dollars. Sachant que, selon les ratios et normes internationales généralement appliqués dans le secteur des télécoms, le bénéfice net tourne autour de 30-35% de l’EBITDA, on saura que Tunisiana versera à ses actionnaires des dividendes de l’ordre de 200 millions de dinars.
Le résultat est foudroyant, mais mérité. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de le remettre en doute ou de le contester. Il a été obtenu grâce à une équipe, tunisienne dans son écrasante majorité, et un travail acharné au quotidien. Outre ce bénéfice net dégagé au profit de ses actionnaires, Tunisiana peut se targuer d’avoir une part de marché tournant autour de 50%, une belle image, de bons services et de bons produits.
Seulement voilà, le travail acharné de l’équipe et le sérieux du management n’expliquent pas tout. Tous ces ingrédients permettent de réussir, certes, mais pas autant. Car si Tunisiana a réussi à dégager ce joli pactole, c’est qu’elle a également profité d’un environnement particulier et d’une instance de régulation assez faible et victime de son statut.
Explication. L’opérateur égypto-qatari aurait-il pu gagner autant si cette instance (ou le ministère) a été ferme en l’obligeant à facturer ses clients à la seconde ou encore en l’obligeant à réduire ses prix de SMS ? Une formule qui avantage le consommateur et n’arrange certainement pas le business de l’opérateur.
Interrogé sur le sujet il y a quelques années de cela, l’ancien DG de Tunisiana, Jean-Pierre Roeland, nous expliquait qu’il était encore en phase d’investissement. Mais maintenant ? Il est clair que l’opérateur n’est plus en phase d’investissement, mais plutôt dans la récolte des fruits. Partant, le citoyen tunisien peut-il continuer encore à payer douze fois plus cher ce qu’il consomme ? Comme chacun sait, la facturation en Tunisie se calcule sous forme de paliers de 12 secondes. En d’autres termes, quand vous utilisez votre téléphone 1 seconde ou 12 secondes, vous payez le même prix. Et si vous parlez pendant 13 secondes, vous paierez tout de suite le double. Ne parlons pas du roaming où la minute est indivisible en émission ou en réception d’appel.
Pour ce qui est des SMS, et si l’on considère les études réalisées par les organisations européennes de défense des consommateurs, on se rend compte qu’ils sont facturés à des prix trop élevés. 60 millimes, ce n’est rien, mais au vu des milliards de SMS échangés à l’année, ça devient énorme.
Sous d’autres cieux (l’Europe par exemple), on a été très ferme à l’encontre des opérateurs et on a exigé (et obtenu) des réductions tarifaires, afin que le citoyen ne soit pas lésé. Chez nous, c’est ce citoyen qui va payer les 200 millions de dinars de dividendes à Orascom et Qtel.
On pourra tenir les mêmes propos concernant Tunisie Telecom. Et à raison. Interrogé à ce sujet, un directeur chez l’opérateur historique nous fait remarquer les gros chantiers actuellement en cours sur le réseau fixe, le déploiement de l’ADSL, la fibre optique, etc. Autant de dépenses élevées, payées en devises et en dépit d’un euro fort, l’opérateur continue à baisser ses prix. Ceux de l’ADSL en témoignent pour ne citer que cet exemple. En clair, ce qui est gagné par la main droite est investi par la main gauche, mais toujours en Tunisie.
Peut-on dire la même chose de Tunisiana ? Il est peut-être bon de remarquer les investissements (parfois colossaux) d’Orascom dans plusieurs pays du monde. Il y a quelques semaines, Naguib Sawiris a convié au Caire un groupe de journalistes algériens pour leur parler des projets qu’il compte développer dans leur pays. Qu’en est-il des investissements d’Orascom dans notre pays ? Rien à ce que l’on sache. En résumé, ce qui est gagné en Tunisie est investi ailleurs.
Sans remettre en question le droit absolu des actionnaires d’Orascom Telecom Tunisie d’utiliser comme ils l’entendent leurs dividendes, il y a lieu de s’interroger s’il n’est pas temps, pour notre pays, de limiter cette hémorragie. Sans en appeler à un quelconque protectionnisme d’Etat, il est peut-être bon de faire jouer la concurrence et d’agir à l’encontre de l’opérateur GSM privé comme agissent tous les Etats y compris les plus développés. Fermeté dans l’application de la loi, respect absolu de la concurrence, protection du consommateur et accélération des procédures pour faire entrer un nouvel opérateur, afin de favoriser la baisse des prix.
D’après les échos que nous avons reçus, la Tunisie ne penche plus pour l’entrée d’un nouvel opérateur GSM privé, mais plutôt un opérateur privé universel. En d’autres termes, cet opérateur aura une licence fixe, mobile et 3G.
Si cet opérateur est étranger, on aura dans quelques années le même souci qu’avec Tunisiana actuellement : des dividendes faramineux rapatriés en devises. On ne pourra rien contester puisque ce sera son droit absolu.
Mais, qu’en sera-t-il si le cahier des charges stipule que le nouvel opérateur privé doit avoir un partenaire tunisien de référence dans son capital ou, mieux encore, doit être tunisien ? Les dividendes ainsi engrangés resteront dans le pays et seront investis au profit de notre économie.
Certains sceptiques diront que nous n’avons pas les compétences requises. Faux ! En témoignent la réussite fulgurante de l’opérateur VSAT, Divona Telecom, grâce à des compétences tunisiennes uniquement.
On pourra, dans la foulée, s’interroger sur le know-how d’Orascom (Egyptien) et de Qtel. Les ingénieurs ou hommes d’affaires égyptiens seraient-ils donc plus intelligents que leurs homologues tunisiens ? Si l’on ne donne pas la chance et l’occasion à nos Tunisiens de grandir, comment dès lors deviendront-ils des références internationales comme l’est actuellement Naguib Sawiris ?
Il y a lieu de remarquer enfin que l’avenir des technologies et des opérateurs passe inévitablement par la 3G et la licence universelle qui permettra à son titulaire de gagner de l’or, exactement, voire davantage que le GSM. Autant d’éléments qui favorisent l’idée de l’octroyer à un opérateur ayant un capital (en totalité ou en partie) tunisien, ce qui permettrait de garder une partie des dividendes dans le pays.
Le cahier des charges relatif à l’octroi d’une nouvelle licence étant en cours de finalisation, il est à notre sens impératif de prendre en considération l’ensemble de ces éléments avant de le rendre public.
Une licence universelle (Fixe, GSM et 3G) se prépare : Les gros dividendes de Tunisiana ne profitent pas à la Tunisie

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