En pleine préparation de la nouvelle Loi de finances 2026, censée incarner l’État social et autres pompeux slogans, les plus raisonnables se demandent comment ces projets et ces ambitions vont être financés.
Ce n’est certainement pas dans les communiqués de la présidence du gouvernement qu’ils trouveront la réponse puisque celle-ci se contente d’un laconique : « concevoir des moyens innovants pour financer le budget de l’État ». Il s’agit pour le gouvernement de résoudre des problèmes liés à la santé, au transport, à l’éducation, à l’investissement, aux entreprises publiques, à l’investissement et autres, mais personne ne sait d’où viendra l’argent.
Des promesses mirobolantes
Pourtant, il y a déjà quelques années, les chroniqueurs pro-régime et le président de la République lui-même nous avaient promis une pluie de milliards provenant des poches des hommes d’affaires véreux accusés de corruption.
Rappelez-vous de cette loi à laquelle Kaïs Saïed réfléchit depuis 2012 et qu’il avait même proposée aux gouvernements de l’époque, qui dispose que les plus grands corrompus allaient être obligés de financer des projets d’infrastructure dans les délégations les plus pauvres. Une fois arrivé au pouvoir, le président Saïed a promulgué cette loi et la ribambelle de soutiens partisans et médiatiques en a vanté les mérites pendant des semaines.
Le chef de l’État avait même osé un chiffre en annonçant que cette opération, censée démontrer un certain courage politique et rétablir la confiance entre l’État et le monde des affaires, allait rapporter la bagatelle de 13,5 milliards de dinars, rien que ça !
Un chiffre repris en chœur par l’orchestre des pro-régime alors que plusieurs doutaient de la faisabilité de la chose. Business News et l’avocat Ahmed Souab, aujourd’hui en prison, avaient déjà expliqué que c’était tout bonnement impossible, surtout si l’on ajoute que cela devait se faire en six mois.
Le mirage de la réconciliation pénale
Ce qui allait devenir une habitude plus tard a, dès lors, commencé : le régime ignore totalement les avis des experts et des opposants et s’en va tenter de matérialiser le mirage appelé réconciliation pénale. La commission est mise en place et plusieurs hommes d’affaires soumettent leurs dossiers, espérant régler définitivement leurs contentieux avec l’État, ne pas faire de prison et payer ce qu’il faut pour avoir l’esprit tranquille.
Sauf qu’il fallait des résultats tangibles pour le régime afin de légitimer sa bonne idée. Donc, puisque les sommes d’argent promises se sont révélées être impossibles à atteindre, l’État a décidé d’incarcérer plusieurs hommes d’affaires réputés et de jeter leurs noms en pâture à une populace assoiffée de mauvaise joie.
L’orchestre de chroniqueurs et de défenseurs de la réconciliation pénale pouvait maintenant dire que même si l’argent n’est pas à la hauteur des espérances, les malfaiteurs ont quand même été mis en prison dans le cadre de la lutte contre la corruption. Évidemment, cela n’a rien à voir avec le projet tel qu’il avait été présenté et imaginé au départ, mais il fallait bien offrir quelques têtes à la vindicte populaire pour asseoir son autorité dans une période délicate et pour aborder la suite avec un certain crédit.
L’argent qui n’existait pas
Il faut rappeler également que le rapport à l’argent dans cette démarche est totalement déconnecté des réalités. Beaucoup imaginent qu’il existe des hommes d’affaires en Tunisie ayant des centaines de millions de dinars dans leurs comptes en banque et que l’État n’a qu’à les saisir pour qu’ils soient directement reversés aux projets dans les délégations pauvres. Les justiciers du monde des bisounours croyaient sincèrement que l’argent était là, disponible, et qu’il n’y a qu’à se baisser pour le ramasser, bien sûr pour le plus grand bien du peuple tunisien. Finalement, la réalité a vite rattrapé le président de la République et les membres de la fameuse commission qu’il avait créée.
On se rappellera tous de la visite de Kaïs Saïed au siège de la commission pendant laquelle une des membres lui avait parlé d’un dossier à hauteur de 30 « billions » de dinars ! Cet incident avait suscité la moquerie et posait de réelles interrogations sur la capacité de cette commission à faire ce qu’on lui demandait, si tant est que ce soit possible. Le président de la République semblait avoir gobé cette histoire en plus. Plus tard, le président de la commission a été viré et la membre en question aussi.
Une nouvelle présidente a été désignée à la place de Makram Ben Mna, en la personne de la juge Michket Slama Khaldi. Et depuis, plus rien ! Aucune information nouvelle n’a filtré à propos des travaux de la commission. Les délais initialement prévus de six mois renouvelables une fois ont été allègrement dépassés et le décret a été modifié en conséquence.
L’orchestre des chroniqueurs et des soutiens y a vu une autre occasion pour remercier le régime de bien vouloir corriger lorsqu’il commet une erreur. Aucune information officielle n’existe concernant les sommes récoltées, le nombre d’hommes d’affaires impliqués, l’allocation de l’argent s’il existe, etc. Le seul développement notable est le fait que la présidente de la commission a été bombardée ministre des Finances, en remplacement de Sihem Nemsia, début février 2025. Était-ce parce que les résultats réalisés à la tête de la commission étaient si positifs que cela justifiait une telle nomination, ou parce que le président de la République avait en tête, à ce moment-là, le dossier des biens confisqués et qu’il a estimé qu’une juge était la solution à la tête des finances ? On ne le saura probablement jamais.
La justice sans les fonds
Au final, des dizaines d’hommes d’affaires, de capitaines d’industrie et de chefs d’entreprises sont actuellement incarcérés sans qu’aucun montant ne soit reversé à l’État, malgré la volonté première de Kaïs Saïed. Tout cela a eu un impact certain sur le monde des affaires en Tunisie et la décision d’investir et de sortir son argent est devenue bien plus difficile.
À plusieurs reprises, le chef de l’État a tenté de rassurer en disant que le « capital patriote » n’avait rien à craindre. Mais ce ne sont que des paroles, comme celles qui assuraient auparavant que la volonté du régime n’était pas de mettre les gens en prison. Pourtant, elle est remplie.










