Longtemps relégué au silence, le barreau tunisien retrouve son souffle.
Sous l’impulsion du bâtonnier Boubaker Bethabet, la profession d’avocat redevient un pilier de l’État de droit.
Face à ce réveil, le régime de Kaïs Saïed se crispe : le président n’a toujours pas reçu le bâtonnier, fait rarissime dans l’histoire de la République.
Ce mépris symbolique traduit la peur d’un pouvoir qui sait que, lorsque les robes noires s’élèvent, les régimes tremblent.
Depuis son élection le 13 septembre 2025, Boubaker Bethabet attend toujours d’être reçu au palais de Carthage.
Sous Bourguiba comme sous Ben Ali, il est arrivé que le chef de l’État diffère un entretien, mais jamais une telle distance n’avait pris une dimension aussi politique.
En refusant cette audience, Kaïs Saïed acte son mépris pour une institution qu’il ne contrôle pas.
Il traite le barreau non comme un partenaire, mais comme une menace.
Élu dès le premier tour avec 57 % des voix, Boubaker Bethabet a promis de rendre au barreau sa dignité et son rôle historique : défendre la justice contre le pouvoir, et non l’inverse.
Dès les premières semaines, il a donné le ton : dénonciation du décret 54, défense des juges révoqués, rapprochement avec l’Association des magistrats tunisiens et réaffirmation du lien avec la société civile.
Son élection a agi comme un séisme dans une profession engourdie par des années de compromis.
Le barreau sort du coma
Les mandats de Brahim Bouderbala et de Hatem Mziou avaient plongé le barreau dans une apathie inédite.
Là où leurs prédécesseurs plaçaient la profession au cœur du combat démocratique, eux s’étaient enfermés dans la docilité.
Me Bouderbala avait transformé son mandat en tremplin politique vers la présidence de l’Assemblée.
Mziou, lui, se disait « la conscience tranquille », tout en admettant son impuissance.
Le barreau, autrefois flambeau des libertés, n’était plus qu’une administration résignée.
Cette abdication avait brisé le moral d’une profession fatiguée.
Les rares avocats restés debout – Samir Dilou, Lazhar Akremi, Dalila Msaddek, Saïda Garrach – étaient devenus les symboles isolés d’une résistance à bout de souffle.
Boubaker Bethabet, lui, ne promet pas seulement un renouveau moral : il en donne la preuve.
Le 27 octobre : le retour du courage
Le 27 octobre 2025, date du procès en appel du « complot contre la sûreté de l’État », restera celle du réveil.
Devant la Cour, le bâtonnier a refusé de se soumettre aux règles imposées par le pouvoir.
« L’Ordre des avocats ne présentera aucune déclaration de représentation tant que les prévenus ne comparaîtront pas physiquement », a-t-il lancé au juge.
Ce geste, simple mais historique, a marqué une rupture : le barreau reprenait sa place dans l’histoire politique du pays.
Pendant des mois, les procès à distance, instaurés sous couvert de sécurité, avaient vidé la justice de sa substance.
En refusant de les cautionner, Bethabet a brisé le consensus du silence.
Son geste, salué par la profession, a réinstallé dans le paysage public une idée oubliée : l’avocat n’est pas un auxiliaire, mais une conscience.
L’Ordre retrouve sa voix
Depuis ce jour, le barreau avance au rythme de son bâtonnier.
Dossier après dossier, l’Ordre intervient, dénonce, condamne.
Le 23 octobre, il s’est saisi du cas de Sonia Dahmani, chroniqueuse et avocate devenue l’une des bêtes noires du régime.
Condamnée à deux ans et deux mois de prison, elle avait purgé les deux tiers de sa peine, mais la Commission de libération conditionnelle a refusé d’examiner son dossier, invoquant une raison fallacieuse : le jugement ne serait pas définitif.
Le bâtonnier a immédiatement saisi le ministère de la Justice pour dénoncer une violation flagrante du principe d’égalité devant la loi.
Ce geste n’est pas isolé : il marque le retour d’un barreau qui assume son rôle politique.
Quelques jours plus tard, le 29 octobre, l’Ordre frappe à nouveau.
Dans un communiqué cinglant, il dénonce la suspension de l’ATFD et du FTDES, deux organisations piliers de la société civile.
Me Bethabet y rappelle que leur fermeture constitue une atteinte directe aux libertés publiques et à l’esprit même de la Constitution.
En l’espace d’une semaine, il a fait ce que deux mandats n’avaient pas osé : rendre au barreau sa voix et sa dignité.
Ses prises de position dérangent, mais elles redonnent à l’institution sa légitimité morale.
Des alliés dans et hors des murs
Le combat du bâtonnier trouve des échos puissants montrant qu’il n’est pas seul.
Le 29 octobre, le juriste et militant Jaouhar Ben Mbarek entame une grève de la faim sauvage à la prison de Belli, refusant eau, nourriture et médicaments.
Il dénonce « un procès impossible » et une politique d’élimination lente des opposants.
Son geste est extrême, mais il réveille les consciences : la liberté ne se mendie pas à un pouvoir qui ne la possède plus.
Dans le même élan, Ahmed Souab, ancien magistrat devenu avocat, refuse le 28 octobre de comparaître à distance.
Pour lui, un procès sans prévenu n’est pas un procès, mais une fiction judiciaire.
Son refus, relayé par son fils, a bouleversé la profession et donné du poids au geste du bâtonnier.
Les actes de Me Souab et Me Bethabet se répondent. Le premier combat depuis sa cellule, le second depuis la tribune. Ensemble, ils réécrivent la dignité de la robe.
Le 31 octobre : la rue entre dans le combat
Ce vendredi 31 octobre, jour du procès d’Ahmed Souab, le palais de justice de Tunis est devenu un lieu de ralliement.
Dès la matinée, des avocats, militants, ONG, journalistes et représentants diplomatiques se sont rassemblés devant le tribunal pour réclamer un procès équitable et dénoncer la généralisation des procès à distance.
Pour la première fois depuis longtemps, le barreau et la société civile parlent d’une seule voix.
Le combat du bâtonnier a quitté les prétoires : il est devenu celui d’un peuple qui refuse le silence.
Le 10 novembre : la résistance s’organise
Boubaker Bethabet prépare maintenant la suite.
Le 10 novembre, il réunira une assemblée générale d’information sur le procès équitable et le rôle de la défense.
Mais derrière cette séance se cache une décision stratégique : selon les informations de Business News, le bâtonnier compte institutionnaliser la résistance.
Il proposera aux avocats de refuser tout mandat de représentation tant que les procès à distance perdureront, ou de retirer les mandats déjà déposés.
Une telle position pourrait paralyser des pans entiers du système judiciaire.
Les procès sans avocats perdent leur légitimité, les jugements deviennent fragiles, les condamnations, contestables. Le message est clair : le barreau entre dans l’action directe.
La fuite en avant du régime
Face à cette montée en puissance, le régime réagit par la fermeture.
Lors de l’audience d’Ahmed Souab, les journalistes ont été interdits d’accès, et un seul membre de sa famille a pu assister à la séance.
Ce huis clos viole le principe universel de publicité des débats judiciaires, fondement même du droit. Un procès se rend au nom du peuple, et sous son regard. Empêcher la presse et les citoyens d’y assister revient à confisquer la justice aux Tunisiens.
Ce verrouillage traduit une fuite en avant.
Autrefois, sous Me Bouderbala et Me Mziou, le pouvoir jugeait sans opposition.
Aujourd’hui, il doit verrouiller, justifier, se défendre. La peur commence à changer de camp.
Une institution debout face à un pouvoir qui se ferme
En refusant la compromission et le silence, Boubaker Bethabet a réhabilité le rôle du barreau tunisien : un rempart contre l’arbitraire et la peur.
Son combat dépasse les frontières de la profession : il porte la voix de ceux qui refusent de s’incliner.
Mais alors que le bâtonnier tend la main au nom du droit, le président s’obstine à ne pas le recevoir.
Ce silence n’est plus de l’indifférence : c’est un aveu.
Celui d’un pouvoir incapable d’entendre, enfermé dans sa propre verticalité.
Pourtant, ce refus est déjà une victoire.
Autrefois, le pouvoir agissait sans résistance ; aujourd’hui, il doit composer avec un barreau debout, une société civile vigilante et une opinion éveillée.
La Tunisie vit un moment de bascule. Le droit ne se tait plus.
Et si le pouvoir s’obstine à ignorer ceux qui défendent la justice, il finira par découvrir que nul ne gouverne durablement contre elle.
Maya Bouallégui














3 commentaires
Citoyen_H
OUH LÀ,
on tremble de peur !!!
zaghouan2040
Le régime cherche vraisemblablement un moyen d’incriminer Mr Bethabet et d’infeoder l’Ordre des Bâtonniers
Il n’hésitera pas à la moindre occasion
LOL
BRAVO ! Quelle bonne nouvelle !
Enfin, le vent tourne.
Bravo Boubaker Bethabet, et soutien total à Jaouhar, Abir, Sonia,
et à tous les Tunisiens injustement emprisonnés sous ce tyran.
Excellent article ! Vivement que ce gouvernement tombe !