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Emprisonner Ayachi Hammami : un aveu d’échec du pouvoir

Service IA, Business News

Par Nizar Bahloul

Arrêté mardi 2 décembre à son domicile, l’avocat et militant politique Ayachi Hammami, 66 ans, vient d’être emprisonné pour cinq ans dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État ».

Une condamnation à la suite d’un procès politique où l’absurde l’a disputé au tragique.

La Tunisie voit aujourd’hui emprisonner l’un de ses défenseurs les plus constants, un homme dont la vie entière a été un rempart contre la dictature.

Ayachi Hammami n’est pas un opposant conjoncturel, ni un militant de dernière heure.

Il est de ceux qui ont traversé toutes les tempêtes autoritaires : Bourguiba, Ben Ali, la décennie post-révolution, et maintenant un régime qui criminalise l’engagement politique.

Né en 1959, l’avocat incarne quatre décennies de résistance civile, de combats pour les droits humains, de défense des prisonniers d’opinion, d’inlassables plaidoyers pour un État de droit qu’on lui refuse encore aujourd’hui.

En 2005, il avait transformé son propre cabinet en sanctuaire de liberté pour accueillir la grève de la faim du Collectif du 18-Octobre, menée aux côtés de figures comme Ahmed Néjib Chebbi (centre), Hamma Hammami (gauche), Samir Dilou (islamiste) et Lotfi Hajji (journaliste).

Plus d’un mois de jeûne politique, au cœur d’un régime policier qui écrasait toute dissidence.

C’était déjà lui, Ayachi, qui offrait l’espace, la protection, la légitimité morale.

C’était déjà lui, l’homme que Ben Ali n’a jamais réussi à briser.

Photo prise sous l’ère Ben Ali partagée par la journaliste Jihène Louati
Un procès politique déguisé en affaire sécuritaire

Le verdict prononcé la semaine dernière contre lui dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État » défie l’entendement.

La justice lui reproche :

D’avoir participé à une « entente » politique formée par Khayem Turki, au même titre que de nombreux autres opposants.

D’avoir été convié, comme d’autres, à une réunion ordinaire avec une diplomate américaine — pratique banale dans n’importe quel pays normal.

D’avoir organisé la défense de députés poursuivis et contribué à élargir une coalition d’opposition.

Autrement dit : on lui reproche son métier d’avocat, son engagement de toujours et ses convictions démocratiques.

Comme pour beaucoup d’accusés dans ce dossier, la condamnation est intervenue au terme d’une procédure où les garanties les plus élémentaires de la défense ont été bafouées, avec des peines parfois prononcées sans véritable interrogatoire ni débat contradictoire.

Pour Ayachi, comme pour les autres, le droit n’a pas simplement été violé : il a été effacé.

Un symbole que rien n’a jamais pu faire plier

Depuis l’annonce du jugement puis son arrestation, une onde de choc a traversé la classe politique, les milieux juridiques et le monde militant.

Pour l’avocat Sami Ben Ghazi, Ayachi n’est pas seulement un militant, mais « un chapitre entier de la résistance civile ».

Pour la journaliste Amal Hedhili, l’arrestation d’Ayachi Hammami n’a rien d’un accident : c’est l’aboutissement logique d’un régime qui ne connaît plus de limites. Elle rappelle que ni Ben Ali, ni les gouvernements de la décennie post-révolution — pourtant marquée par ses propres excès — n’avaient jamais osé emprisonner cet homme.

Elle établit un parallèle direct avec Ahmed Souab : deux figures dont l’intégrité fait consensus, et dont l’incarcération révèle moins leur faute que la faillite morale du pouvoir qui les frappe.

Selon elle, le régime s’acharne contre Ayachi non pas parce qu’il représenterait un danger réel, mais parce qu’il incarne tout ce qui lui échappe : la légitimité, la constance, la droiture, une présence enracinée dans la société civile.

Et elle conclut avec une certitude : un homme libre reste libre, même en prison.

La militante Naziha Rjiba rappelle que Ayachi Hammami n’a jamais appartenu à une quelconque structure politique, avant qu’on ne l’accuse soudain d’intégrer « une organisation terroriste » selon les termes du jugement absurde.

L’activiste Ayoub Amara évoque le défenseur infatigable qui traversait le pays pour défendre tous les persécutés, même ceux qui l’insultaient.

Pour le politologue Tarak Kahlaoui, Ayachi est « une boussole morale », un homme dont la sérénité et l’humour restaient intacts malgré toutes les pressions.

Des militants de gauche, comme Wael Naouar, saluent son intégrité absolue et sa droiture rare.

Mongi Souab, frère d’Ahmed Souab, rappelle son refus d’être interrogé sans la présence de ses compagnons : une fidélité qui force le respect.

Et pour Ammar Amroussia, figure du Parti des Travailleurs, « toutes les prisons sont trop petites pour contenir sa stature ».

Le fil rouge de toutes ces réactions est limpide :

Ayachi Hammami est un homme d’une intégrité totale, et le pouvoir qui l’emprisonne ne parvient qu’à révéler sa propre faiblesse.

Un homme qui aurait dû siéger à la Cour constitutionnelle

Comme Ahmed Souab avant lui, Ayachi Hammami fait partie de ces personnalités proposées pour siéger à la Cour constitutionnelle, l’instance suprême que le régime de Kaïs Saïed n’a jamais réussi à mettre en place, bien qu’il l’ait prévue dans la constitution de 2022 que le chef de l’État a écrite tout seul.

On n’emprisonne pas seulement un avocat.

On emprisonne une conscience républicaine, un esprit façonné par le droit, la justice et la rigueur intellectuelle.

Que de tels profils soient derrière les barreaux alors qu’ils auraient dû incarner la plus haute autorité juridique du pays est une indécence morale.

Une humiliation pour la République.

Un aveu cinglant de la dérive autoritaire que traverse la Tunisie.

Plus le régime frappe, plus l’histoire retiendra sa stature

À 66 ans, Ayachi Hammami entre en prison comme il est entré en militantisme : droit, digne, fidèle à lui-même.

Il n’a jamais courbé l’échine.

Il ne la courbera pas aujourd’hui.

Un régime peut emprisonner un corps.

Il ne peut ni effacer une vie de luttes, ni emprisonner une stature morale.

L’histoire est têtue : elle finit toujours par distinguer les hommes qui servent la liberté de ceux qui tentent de l’étouffer.

Et cette histoire-là, tôt ou tard, rendra à Ayachi Hammami la place qui est la sienne : celle d’un homme libre dans un pays qui cherche encore sa liberté.

Nizar Bahloul

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5 commentaires

  1. Hannibal

    4 décembre 2025 | 12h19

    Une fake news:
    Après une nième sans sommeil, quelqu’un a pété un plomb et n’arrête pas de répéter en criant et en courant dans sa prison dorée : « Tous en prison, toute la Tunisie en prison, tous des traîtres, je vais pondre le décret 5554444 et vous allez voir ce que vous allez voir »… Actuellement, une ambulance du Razi embarque le gars sous camisole de force …

  2. Kol

    3 décembre 2025 | 21h46

    Mon dieu, est ce que ca va s’arrêter un jour? tous les matins je me réveille en me disant qu’on vit un cauchemar. En Tunisie avec un fou à la tête du pays et ailleurs avec des guerres, des bombes et des fous aussi qui dirigent le monde….

  3. lotfi.chaffai

    3 décembre 2025 | 19h10

    Monsieur Bahloul Merci pour votre courage un article édifiant sur la dérive autoritaire du Régime et un soutien total avec tous les prisonniers politiques du Pays

  4. zaghouan2040

    3 décembre 2025 | 17h48

    Immense respect

  5. Rabii Bannouri

    3 décembre 2025 | 14h39

    BRAVO!