Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

Mohsen Marzouk : « Le pouvoir de Kaïs Saïed est le produit de nos propres échecs »

Par Raouf Ben Hédi

Dans une publication longue et argumentée partagée mardi 16 décembre 2025, le politicien Mohsen Marzouk a livré une analyse critique de la situation politique en Tunisie, mêlant condamnation sans ambiguïté de l’autoritarisme actuel et exercice appuyé d’autocritique collective visant la classe politique de l’après-2011.

Un autoritarisme à condamner, sans équivoque

Dès les premières lignes, Mohsen Marzouk prend soin de préciser son propos : il ne s’agit ni de justifier « l’injustice et l’arbitraire », ni d’offrir une quelconque légitimation au pouvoir en place. Ce qu’il propose, affirme-t-il, relève de l’explication des causes ayant conduit à la situation actuelle. Une démarche qu’il estime indispensable pour espérer en sortir.

Tout en rejetant « l’autoritarisme et l’injustice » qui caractérisent aujourd’hui la gouvernance en Tunisie, l’ancien responsable politique considère que le régime du président Kaïs Saïed constitue avant tout « la synthèse, le résumé et la conséquence de nos fautes et de nos péchés », accumulés notamment durant la période 2011-2019, et même au-delà.

La responsabilité des élites de l’après-2011

Mohsen Marzouk pointe directement la responsabilité des élites politiques de cette période, qu’il estime avoir largement contribué à la banalisation de la démagogie et du populisme. Il relève que les discours conspirationnistes, la diabolisation systématique des adversaires, la mise en scène de figures moralisatrices inspirées de modèles autoritaires, ainsi que la destruction progressive de l’expérience démocratique « de l’intérieur », ont pavé la voie à l’actuelle dérive autoritaire. Il évoque notamment la primauté donnée aux intérêts partisans au détriment de l’intérêt national et la généralisation d’un climat de chaos politique.

L’ancien dirigeant insiste sur la nécessité pour chaque acteur politique d’assumer sa part de responsabilité. « Chacun d’entre nous a sa part », écrit-il, estimant qu’aucune reconstruction politique sérieuse ne peut avoir lieu sans reconnaissance préalable des erreurs commises.

Dans sa publication, Mohsen Marzouk critique également l’émergence de nouveaux acteurs politiques qui, selon lui, cherchent à s’imposer sur la scène publique au nom d’un rejet simpliste de tout ce qui est ancien. Il dénonce une logique qu’il juge dangereuse, fondée sur l’idée que le renouvellement politique passerait par l’effacement total des générations précédentes, indépendamment des critères de compétence et de réalisations concrètes. Une dynamique qu’il associe au même raisonnement ayant favorisé l’ascension du président Saïed.

Sans autocritique, l’autoritarisme se reproduira

Mohsen Marzouk estime par ailleurs que la reconnaissance des erreurs passées ne constitue en rien une trahison des victimes actuelles de l’injustice. Il affirme que les personnes emprisonnées ou persécutées aujourd’hui sont bel et bien des victimes, mais que cela n’empêche pas d’admettre que la situation du pays est aussi le résultat de fautes collectives. À ses yeux, le refus de cette autocritique relève d’une posture stérile, voire ridicule, où chacun cherche à faire porter aux autres la responsabilité exclusive de l’échec.

Se plaçant lui-même dans cette démarche, il reconnaît explicitement sa propre part de responsabilité et affirme ne plus accorder de crédibilité politique à quiconque refuse cet exercice de lucidité. Pour lui, l’idée selon laquelle l’autocritique serait inopportune en période d’autoritarisme est erronée : elle constitue au contraire l’un des chemins possibles pour en sortir.

Dans une formule forte, Mohsen Marzouk décrit le régime actuel comme « la version hypertrophiée de toutes nos maladies politiques, transformées en théorie de gouvernance ». Il avertit que tant que les acteurs politiques et la société dans son ensemble n’auront pas extirpé le « Saïed intérieur » qu’ils portent en eux, les mêmes mécanismes autoritaires risquent d’être reproduits à l’avenir, sous d’autres formes.

Il conclut en estimant que la crise politique tunisienne repose sur une double impasse : d’un côté, un pouvoir autoritaire ; de l’autre, une classe politique incapable de regarder ses propres échecs en face. Citant un verset coranique — « Dieu ne change l’état d’un peuple que lorsque celui-ci change ce qui est en lui-même » — il appelle à une remise en question profonde comme condition préalable à toute issue démocratique.

La publication est accompagnée des mots-clés « liberté pour les opprimés » et « l’autoritarisme doit tomber dans le pays et en nous-mêmes », résumant une position qui tente de conjuguer dénonciation du pouvoir en place et critique sévère des responsabilités passées et présentes de la sphère politique tunisienne.

R.B.H

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers

Commentaire

  1. jamel.tazarki

    16 décembre 2025 | 21h01

    Monsieur Marzouk, votre analyse est trop superficielle et ne tient pas compte des vraies causes de la décadence socio-économique, politique, judiciaire et culturelle de la Tunisie depuis 2011.
    1)Je résume les causes d’avant le putsch de Kaïs Saïd :
    a) la Constitution de 2024 a été dictée par un clan afin de garantir ses privilèges ;
    b) la loi électorale de 2024 a été dictée par un clan afin de garantir ses privilèges ;
    c) toutes les garanties constitutionnelles de protection des droits et des libertés ont été neutralisées.

    2) Je résume les causes d’après le putsch de KS en 2022 :
    a) la constitution de KS a été écrite sur mesure pour permettre le retour de la dictature ;
    b) la loi électorale de 2024 a été conçue pour ne laisser passer que le dictateur et ses soutiens.
    c) toutes les garanties constitutionnelles de protection des droits et des libertés sont de nouveau neutralisées.
    –>
    pour faire de la Tunisie un État de droit et une démocratie, il faut absolument lui accorder une constitution, une loi électorale ainsi que les garanties constitutionnelles de protection des droits et des libertés qui définissent un État de droit et une démocratie.

    voilà ce que je propose :
    A) Selon l’actuelle Constitution, la composition de la Cour constitutionnelle est la suivante :
    – quatre membres sont élus par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ; or, les membres de notre CSM ont été nommés par Kaïs Saïd : à vous de tirer des conclusions intelligentes et utiles.
    – trois membres doivent être élus par le Parlement. Peut-on encore faire confiance à « notre » Parlement après sa déformation de la loi électorale à quelques jours de l’élection présidentielle ?
    – Quatre membres de cette Cour doivent être nommés par le président de la République.
    –>
    même si nous avions bientôt une Cour constitutionnelle, elle serait probablement au service du président de la République.

    B) Notre loi électorale d’avant le 25 juillet 2021 (d’avant le putsch) ne nécessitait que quelques retouches, que je résume comme suit :

    b1. – la création d’une Cour constitutionnelle sur la base d’un CSM dont les membres seraient élus et non nommés par le président de la République ;

    b2) Redonner aux partis politiques le poids politique qu’ils avaient avant les élections législatives de 2022, tout en maintenant des peines sévères pour ceux qui achètent des voix ou se battent au Parlement.
    – b2.2) Interdire le passage des députés d’un parti à un autre (non au tourisme parlementaire) ; Par exemple, les députés de Nidaa Tounes, élus lors des élections législatives, sont passés à Ennahdha afin de lui garantir la majorité absolue.
    b2.3) Revoir les lois qui définissent le fonctionnement des partis politiques en Tunisie. Voir le postskriptum ci-dessous.

    (B2.4) Il n’est pas nécessaire de collecter des parrainages pour se présenter aux élections législatives. Il faut redonner aux partis politiques le poids politique qu’ils avaient avant l’élection législative de 2022.

    – b3) Les partis politiques représentés à notre Parlement devraient avoir le droit de proposer un candidat à l’élection présidentielle issu de leurs rangs, sans cette histoire de parrainage.

    – b4) Le président de la République sortant ne devrait pas collecter de parrainages pour l’élection présidentielle, puisqu’il pourrait en obtenir des millions grâce à sa position à la tête de l’État tunisien.

    – b5) Les parrainages pour l’élection présidentielle sont réservés aux indépendants sans appartenance à un parti politique et aux partis politiques sans siège au Parlement. Le filtrage des candidats à l’élection présidentielle se fait déjà lors de l’élection législative.

    Malheureusement, M. Kais Saied n’a pas conscience de l’impossibilité de récolter 10 000 parrainages lorsqu’on n’est pas président de la République dans une Tunisie où les Tunisiens, par habitude, refusent de signer quoi que ce soit s’ils ne sont pas obligés de le faire, par mesure de prudence. En effet, nos députés, les présidents élus des collectivités locales, les représentants du Conseil national des régions et des districts, ainsi que les Tunisiens en général, se mettent à l’abri de tout risque de faute judiciaire en refusant majoritairement de signer les parrainages, avec quelques exceptions.
    Les Tunisiens refusent de signer à la légère pour quiconque frappe à leur porte, en raison de leur culture et de leur éducation.

    Les 10 000 parrainages sont une mission impossible qu’aucun candidat n’a pu accomplir, à l’exception de M. Kais Saied, en sa qualité de président de la République. En effet, qui oserait ne pas signer un parrainage pour l’homme le plus puissant de Tunisie, qui dispose encore d’un pouvoir absolu ?
    –>
    L’actuelle loi électorale aurait dû tenir compte du contexte et de la mentalité des Tunisiens. Franchement, je refuse moi-même de signer un formulaire de parrainage. En effet, je suis extrêmement avare avec ma signature (c’est mon éducation).
    – Autre point négatif de l’actuelle loi électorale : dans une dictature, rares sont ceux qui ont le courage de signer un parrainage pour un candidat adverse du dictateur en place, en donnant leurs coordonnées (adresse et numéro de carte d’identité).
    – Autre point négatif de l’actuelle loi électorale : « l’aberration de demander des parrainages non numérisés et non soumis à l’obligation d’une signature légalisée, et donc facilement contestables a posteriori. Chaque personne peut revenir sur son parrainage pour des raisons politiques ou pour faire chanter le concerné. »
    L’emprisonnement de M. Zammel et de Mme Bargaoui est extrêmement injuste.

    C) Le vote des Tunisiens résidant à l’étranger, à l’instar des élections législatives de 2019 et 2014 :

    Sur un million de Tunisiens résidant en France, seuls 50 000 ont voté. Les partis politiques Ennahdha et Ettakatol avaient des candidats, alors que 95 % de nos partis politiques n’étaient pas présents. En tout, 10 sièges étaient réservés à la France.
    2) En Italie, seuls 5 800 électeurs se sont rendus aux urnes, et bien sûr, les partis Ennahdha et Ettakatol avaient des candidats, alors que 97 % de nos partis politiques n’étaient pas présents. En tout, 3 sièges étaient réservés pour l’Italie.
    3) Dans les pays arabes, le nombre de votants était de 6 800, et bien sûr, Ennahdha et Etttyar avaient des candidats, alors que 98 % de nos partis politiques n’étaient pas présents.
    4) En Amérique du Nord, ils étaient 4 000 à voter, et bien sûr, Ennahdha et Etttyar avaient des candidats, alors que 99 % de la totalité de nos partis politiques n’étaient pas présents.
    5) En Allemagne, ils étaient 4 000 sur 100 000 Tunisiens à voter, et bien sûr, Ennahdha et Etttyar avaient des candidats, alors que 96 % de la totalité de nos partis politiques n’étaient pas présents.

    Fazit des points 1 à 5 :
    –>
    – Ennahdha a remporté environ 17 sièges et Ettayar, 12, grâce aux Tunisiens résidant à l’étranger, dont le taux de participation était inférieur en moyenne à 5 %. Pourquoi ? Réponse : parce que les partis Ennahdha et Ettayar étaient les seuls à avoir les moyens et les privilèges pour présenter des candidats partout dans le monde, là où vivent des Tunisiens (sans entrer dans les détails).
    La même analyse est également valable pour l’élection législative de 2014. En 2014, le député représentant les Tunisiens résidant en Allemagne a été élu avec 207 voix, alors que le nombre de Tunisiens résidant en Allemagne est de 100 000.

    – Les élections législatives de 2019 et de 2014 n’étaient pas justes envers les Tunisiens, envers la Tunisie, mais aussi envers 97 % des partis politiques qui disposaient de peu de financements et de privilèges, contrairement à Ennahdha et Ettayar, afin de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions électorales, en Tunisie et à l’étranger. De plus, le taux de participation des Tunisiens résidant à l’étranger était trop faible et non représentatif.
    Cela ne justifie toutefois pas de jeter à la hâte le régime parlementaire par-dessus bord. Il fallait le corriger et l’optimiser.
    –>
    Je propose d’avoir, au maximum, trois ou quatre représentants pour l’ensemble des Tunisiens résidant à l’étranger.

    Je me répète : la faute n’est pas dans le désir de pouvoir et de richesses, même par la corruption et le despotisme de certains de nos politiciens, mais dans l’absence de contrôles et de garanties constitutionnels, sur la base d’un État de droit. C’est la médiocrité de notre loi électorale et de notre Constitution, ainsi que l’absence d’un État de droit, qui ont permis à certains partis politiques et et à certains politiciens de se comporter de manière inappropriée.

    D) Revoir les lois régissant le fonctionnement des partis politiques en Tunisie.

    À l’intérieur de nos différents partis politiques, la démocratie est compromise par des facteurs tels que l’accaparement du pouvoir par une minorité qui s’est auto-proclamée leader du parti et domine les affaires sans considération pour la grande masse des membres. Une telle situation empêche l’inclusion et limite l’opportunité pour les membres de façonner la politique du parti.
    –> On se demande comment un parti politique peut gérer les affaires du pays s’il est incapable de créer des organes chargés d’organisation des élections internes, tels que l’Assemblée Générale ou un Congrès National. La structure de nos partis politiques est en contradiction avec les lois régissant leur fonctionnement. Combien de temps faudra-t-il à nos partis politiques afin de définir un statut interne ? Il est inimaginable qu’un parti politique, comme celui de Nidaa Tounes, qui était au pouvoir et avait la majorité relative aux élections législatives, n’avait pas de statut et sans constitution interne. Quelle était l’idéologie, les principes et les objectifs du parti Nidaa Tounes ? On ne le sait pas encore ! Comment se fait l’élection des dirigeants ? Rien n’est encore défini ou annoncé !

    Conclusion : il faut revoir les lois régissant le fonctionnement des partis politiques en Tunisie, et obliger ces derniers à les prendre en considération.

    E) Il ne faudrait exclure personne des prochaines élections législatives et présidentielles. En revanche, il faudrait d’abord doter notre pays d’une bonne base constitutionnelle, avec des garanties constitutionnelles de protection des droits et des libertés (Conseil supérieur de la magistrature élu, Cour constitutionnelle, séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, soumission des pouvoirs à la loi, etc.).
    Liberté pour tous les détenus politiques et pour les victimes du manque de liberté d’expression.

    Introduction: Il est important de réclamer les droits et les libertés, mais il ne faut pas non plus négliger de réclamer les garanties constitutionnelles qui les protègent contre les abus de pouvoir.

    Bonne soirée

    Dr. Jamel Tazarki, Mathematicien