Kaïs Saïed s’apprête à devenir un maître en matière de diversion. Les grosses manifestations à Gabès du 21 et du 31 octobre ont fortement perturbé le chef de l’État. N’ayant aucune solution concrète à proposer aux dizaines de milliers de manifestants de la ville la plus polluée du pays, le régime fait tout pour que la colère ne contamine pas d’autres régions. Il stresse, il s’agite et multiplie les actions spectaculaires pour que l’on parle de tout sauf de Gabès.
En seulement quinze jours, il y a eu au moins trois actions : accélération du procès en appel du complot contre l’État — avocats et prévenus informés à 72 heures seulement du procès —, suspension de deux associations des plus mythiques et des plus actives du pays, le FTDES et l’ATFD et une troisième association, celle qui édite le journal en ligne Nawaat, puis annonce du procès d’Ahmed Souab, l’une des dernières personnalités publiques arrêtées, mais l’une des premières à être jugées.
En parallèle, le pouvoir s’énerve au point de sombrer dans l’abject. Il ne compte plus sur ses sbires des réseaux sociaux pour injurier l’opposition : ce sont désormais les plumitifs de la presse publique qui s’y attellent.
Toute cette fébrilité reflète un état de panique sans pareil au sommet de l’État. Un pouvoir crispé, sans horizon, qui se replie sur la répression comme unique réponse à la contestation.
Fuite en avant
En dépit de la concentration absolue du pouvoir, Kaïs Saïed n’a rien résolu en six ans à Carthage, dont quatre de pouvoir totalitaire. Forcément, la grogne monte. Forcément, il s’emballe. Et quand on s’emballe, on fait des erreurs.
Les injures sur Facebook et dans les médias d’État sont un symptôme de cette fébrilité. Mais Kaïs Saïed ne fait pas que s’agiter : il fonce tête baissée dans une fuite en avant.
Vendredi 31 octobre 2025, s’est tenu le procès d’Ahmed Souab, grande figure du monde judiciaire tunisien. Ancien magistrat, avocat, militant des droits humains, il a comparu pour un geste métaphorique mal interprété : celui du magistrat qui a « le couteau sous la gorge ».
Un geste anodin, qui serait passé inaperçu ailleurs, partout dans le monde. Pas en Tunisie de Kaïs Saïed.
Les partisans du régime y ont vu une menace terroriste. Le parquet a réagi au quart de tour : arrestation immédiate, procès express. En sept minutes, la cour a expédié la procédure.
Le bâtonnier, présent, a refusé que le procès se tienne par visioconférence sans presse ni public. En vain. La cour a condamné Ahmed Souab à cinq ans de prison et trois ans de surveillance administrative, sans plaidoirie.
De magistrat à symbole
L’affaire a fait le tour des médias nationaux et internationaux.
Ceux qui connaissaient Ahmed Souab sont révoltés ; ceux qui l’ignoraient s’interrogent sur l’homme qui effraie ainsi le régime. En quelques jours, il a changé de stature : d’un magistrat intègre, il est devenu prisonnier politique.
Il avait la légitimité du verbe et de la carrière. Il détient désormais celle de l’injustice subie.
En le condamnant, le régime a commis une erreur stratégique : il a canonisé Ahmed Souab.
Exactement comme le colon français en emprisonnant Bourguiba, Kaïs Saïed a offert à son opposant le prestige de la victime et la stature du héros.
Sun Tzu, la leçon oubliée
Depuis les manifs de Gabès, Kaïs Saïed multiplie les tours de vis. L’air devient irrespirable.
Commentant cette dérive dans sa chronique d’aujourd’hui sur le Maghreb, Zyed Krichen, le dernier des Mohicans du journalisme tunisien, a rappelé une règle tirée de L’Art de la guerre de Sun Tzu : « Il faut toujours laisser une porte de sortie à l’ennemi. »
C’est une leçon de stratégie universelle : un adversaire acculé est un adversaire dangereux. Celui qui se sent sans issue n’a plus rien à perdre et finit par se battre jusqu’au bout.
Kaïs Saïed, lui, ne connaît ni Sun Tzu, ni l’Art de la guerre. Ses références sont Zaqafouna et Al-Farazdaq.
Sun Tzu ne disait pas seulement comment gagner une guerre, mais surtout comment éviter d’en perdre une. Kaïs Saïed, lui, se bat même quand il n’y a plus d’ennemi.
Pourtant, L’Art de la guerre devrait être enseigné dans tous les lycées tunisiens pour préparer les générations futures à maîtriser la guerre de la vie.
Cinq ans de prison, c’est le mandat d’un président
En croyant faire diversion pour étouffer la colère de Gabès, Kaïs Saïed a commis une faute politique majeure.
Il a transformé Ahmed Souab — un simple militant civil — en prisonnier politique présidentiable.
Il lui a mis, malgré lui, le costume jadis porté par Nelson Mandela et Habib Bourguiba.
Et le plus surprenant, c’est que ce costume lui va à merveille.
Contrairement à la plupart des politiciens tunisiens, Ahmed Souab est consensuel. On l’apprécie à droite comme à gauche.
Il est anti-islamiste, mais n’a jamais prôné leur exclusion.
Il parle tunisien ordinaire, naturellement, sans jargon manipulateur avec un arabe littéraire éculé. Il sait écouter, il sait convaincre.
Même ses goûts sportifs sont fédérateurs. Il aime le Stade tunisien, équipe que tout le monde voit d’un bon œil. Et qui n’aime pas la baklawa !
Mieux encore, Ahmed Souab est politiquement vierge. Il n’a jamais affiché de couleur partisane, ni adhéré à un parti ou un gouvernement. Et quand il a été arrêté en avril, il a suscité la plus grande manifestation de soutien jamais vue pour une figure publique depuis des années.
Bourguiba, le retour
En voulant détourner l’attention de Gabès, Kaïs Saïed a fait l’inverse.
Dans sa précipitation, il a multiplié les erreurs de stratégie, celles que Sun Tzu avait déjà dénoncées il y a vingt-cinq siècles : « Ne combats jamais dans la colère. »
Comme le colon français en emprisonnant Bourguiba, comme Ben Ali en emprisonnant les islamistes, Kaïs Saïed a offert la gloire à ses ennemis.
Le pouvoir a cru neutraliser un homme, il a fait naître un symbole. Il a voulu bâillonner une figure, il a fabriqué un présidentiable. Il a voulu l’humilier, il l’a élevé. Il a voulu le faire taire, il l’a fait entendre jusqu’à l’international.
Il a voulu faire diversion ; il a bourguibisé Ahmed Souab.















3 commentaires
HatemC
On note aussi que les médias publics Agence Tunis Afrique Presse (TAP), La Presse et Assabah sont financés et contrôlés d’une manière qui rend plausible leur instrumentalisation, on oublie le rôle de l’ATCE — Agence Tunisienne de Communication Extérieure sous Ben Ali …
Elle dépendait directement du Premier ministère et, de fait, du Cabinet présidentiel.
Pour rappel :
L’ATCE gérait, la répartition de la publicité publique et parapublique (banques, entreprises nationales, opérateurs télécoms, etc.), les relations avec les médias étrangers et les journalistes correspondants, le financement “sélectif” des journaux tunisiens selon leur degré d’allégeance.
Résultat :
Un journal critique perdait instantanément ses encarts publicitaires.
Inversement, les médias dociles étaient généreusement arrosés.
C’était la censure par la faim : pas besoin de fermer un journal, il suffisait de le priver d’annonceurs.
Le même mécanisme se reconstitue discrètement sous Kaïs Saïed avec une ATCE invisible.
Kaïs Saïed suit, pas à pas, le même itinéraire que Ben Ali, même trajectoire …
Il en reproduit les symptômes, peur de la critique, culte de la loyauté, répression contre les magistrats et les associations, méfiance envers la presse.
Comme Ben Ali, Kaïs Saïed finira isolé.
Déjà, il ne parle plus qu’à lui-même.
Ses “réunions” sont devenues des monologues où il sermonne ses ministres comme des écoliers, récitant sa morale politique devant des caméras pour impressionner un peuple épuisé et crédule.
Sur la scène internationale, il n’existe plus. Invisible, ignoré, transparent.
Il ne lui reste qu’un seul allié — l’autre pays marginalisé de la région : l’Algérie et parfois un dignitaire perdu Libyen venu soigner une carie est reçu par KS, l’illusion …
Le président qui voulait incarner la dignité nationale en a fait une parodie.
Vladimir Guez
Desole de contredire vos plans, Monsieur Niazar, mais en 2029, il tentera d’acheter mon parrainage contre une assiette de bsissa et je temoignerai contre lui devant l’ ISIE et la DZ mafia. Il sea condamne a 163 ans de prison
ferme et de 42 avec sursis.
Vous ne misez pas sur le bon cheval.
Hannibal
Cinq ans de prison pour des paroles anodines.
Une peine qui va au-delà des prochaines élections présidentielles. J’ai l’impression que chaque fois que quelqu’un dit quelque chose, il ou elle apparaît à l’insomniaque comme concurrent ou à ceux qui profitent de sa présence comme empêcheur de tourner en rond.
2029 est encore loin et j’informe ceux qui s’accrochent à leurs privilèges en nuisant au pays et en compromettant l’avenir de ses enfants, que l’Histoire ne les oubliera jamais. Il suffira alors de les chercher dans sa poubelle.
Quel temps perdu !
Une dernière chose : un juge qui subit des pressions dans l’exercice noble de la justice devrait démissionner pour garder son honneur et celui de son pays. Le pays s’en souviendra et le réintègrera.