Par Nizar BAHLOUL
L’express ingurgité, je sors du café et je tombe nez-à-nez avec lui. Je ne le connais pas, il ne me connait pas. On ne s’est jamais croisé auparavant et pourtant ! Il me tança d’un regard inquisiteur, perçant, hautain, assassin, comme s’il était mon pire ennemi.
La scène se passe au quartier du Belvédère, à Tunis, devant la « Calèche », l’un des très rares cafés ouverts durant le mois de Ramadan. En journée, ils sont de moins en moins ouverts les cafés au cours du ramadan. Dans certains quartiers (notamment résidentiels), il n’y en a même pas. Idem pour les boulangeries et pâtisseries. Si vous êtes malade, incroyant ou ayant des enfants devant prendre leur croissant, vous n’avez pas votre place. Idem si vous êtes employé à la BAD, touriste de passage ou investisseur non musulman. Prenez votre mal en patience et passez votre chemin !
Constitutionnellement, la Tunisie est un pays musulman. Sommes-nous tous Musulmans ? Peu importe, bien que la réponse ait toujours été négative. Pays ouvert et tolérant, la Tunisie a depuis la nuit des temps compté ses Juifs, ses Chrétiens, ses agnostiques et ses athées. Toujours est-il que des Tunisiens qui n’observent pas le jeûne, il y en a toujours eu et il y en aura toujours.
Depuis quelques années, rappelle dans son dernier édito Zyed Krichen, rédacteur en chef de Réalités, « ceux qui ne jeûnent pas pour des raisons diverses, disent qu’ils ont de plus en plus de mal à le faire en toute quiétude. L’observance d’un rite, d’une affaire entre Dieu et sa créature, comme disaient nos anciens, est devenue un objet de conformité sociale avec tout ce que cela suppose de pressions sur les consciences et les comportements privés.
Cela n’était pas la règle dans l’Islam de nos parents. La piété ne s’imposait pas à autrui, c’est à peine si on l’affichait. Chacun faisait, dans la famille, ce que sa conscience, ou sa foi, lui dictait, et la rupture du jeûne était là pour rassembler tout le monde. »
La Tunisie a changé depuis, évolution oblige ! La foi s’est raffermie chez les uns -et ils le montrent- et a disparu chez les autres -et ils ne le cachent plus. Facebook compterait quelque 28.000 Tunisiens. Scientifiquement, l’échantillon n’est pas représentatif pour établir un sondage (ses membres n’appartiennent pas à toutes les classes sociales que devrait comporter un panier). Il montre, néanmoins, des tendances de la société tunisienne appartenant à certaines classes. Dans la rubrique religion des différents membres tunisiens, la case comporte rarement le mot « Musulman » ou « Islam ». Je mets « rarement » entre guillemets, car l’échantillon sur lequel je me suis basé pour rédiger cette chronique n’est lui-même pas représentatif de tous les adhérents tunisiens de Facebook. Quoique…
Dans cette rubrique « religion », on lit ce qui suit : « C’est l’homme qui a créé Dieu », « Très méchant comme point de vue », « athée, selon les saisons », « Modéré », « ça dépend des jours », « In God we trust », « L’aviation commerciale et la F 1 sont mes religions », « Open », « Agnostique », « Epicurien », « je ne crois que ce que je vois », « On dit que c’est la meilleure », etc. Plusieurs membres, par ailleurs, ont préféré ne rien écrire du tout, de telle sorte que la rubrique ne s’affiche même pas ! Et ils n’ont pas tort.
Quelque soit le degré de religiosité des uns et des autres, la question demeure cependant strictement personnelle et relève de la foi de l’individu. En aucun cas, elle ne peut et ne saurait être une affaire collective.
Et puisqu’elle est personnelle, il y a lieu de s’interroger sur cette forme d’intolérance gagnant du terrain qu’on observe ces derniers temps avec des cafés de plus en plus fermés, des regards assassins, des leçons de morale (et de religion) prodiguées par des ignares, etc.
L’islam est indéniablement une religion de tolérance. Il est impératif que ses adeptes le soient également, ne serait-ce que pour donner le bon exemple. Ils ne feront là qu’appliquer un des préceptes de l’islam. Ceux qui observent le jeûne le font en toute quiétude. Que ceux qui ne veulent pas le faire ne soient ni incriminés, ni mis au ban de la société, ni dérangés non plus.
« Le rouleau compresseur de la modernité a certes relooké le Ramadan, mais n’a pas pu, ou su, pervertir son âme. Paradoxalement, c’est de ses propres rejetons qu’il peut perdre de sa superbe et de sa gaieté. En voulant trop le vénérer et le sanctifier, une partie de Musulmans a fait du Ramadan un sujet de division et de discorde », dira Krichen dans le même édito.
Ce n’est bon pour personne. C’est dangereux pour tous.
Intolérances religieuses !

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