Ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale n’ont pas pu rater le putsch militaire qui a eu lieu au Myanmar, ex-Birmanie. La leader emblématique Aung San Suu Kyi a été conduite en prison par les militaires qui ont décidé, soudainement, de fermer une parenthèse démocratique qui a duré dix ans.
Notre parenthèse démocratique est toujours ouverte, et l’armée de notre pays ne risque pas de la refermer. Mais le cheminement est chaotique. Contrairement au Myanmar, nous avons l’avantage en Tunisie d’avoir une armée républicaine qui n’a jamais fait de politique. Malgré certains appels de personnes en manque d’autorité, et de culture surtout, notre armée ne risque pas de déroger à sa doctrine. Par contre, le changement politique qui a eu lieu en ex-Birmanie portait un nom et un visage. Il portait une identité et un ADN politiques. En Tunisie, la contestation a été principalement socio-économique et n’a toujours pas trouvé de traduction politique crédible.
Tout cela pour dire qu’une transition démocratique est une chose fragile. Il faut faire attention à implanter les pratiques et la pensée démocratiques en évitant les pièges. Il faut le faire « proprement » pour tenter de couper l’herbe sous le pied des « c’était mieux avant ». L’un des prétextes avancés par les militaires birmans est une fraude à grande échelle lors des dernières élections en faveur du parti de Aung San Suu Kyi. En Tunisie, des doutes ont plané sur l’Isie. La cour de comptes a pointé, dans des rapports officiels, des irrégularités et des infractions à la loi lors des élections. D’un autre côté, aucune procédure judiciaire n’est venue corriger ces situations. Cela fait partie des piques qu’on laisse s’implanter dans le flanc d’une démocratie naissante.
Mais il existe une autre particularité tunisienne, celle des dirigeants contestataires. Hier, le président de la République, Kaïs Saïed, s’est offert une balade en pleine avenue Habib Bourguiba avant de se diriger vers le bâtiment gris du ministère de l’Intérieur. L’une des lectures de ce geste politique a été que le président s’est rangé du côté des manifestants et des contestataires, comme si le président était allé manifester lui-même. Il y a, évidemment, plusieurs autres messages derrière cette balade au centre-ville, dont celui de défier Rached Ghannouchi d’oser faire de même.
Mais cette tendance est en train d’être érigée en pratique politique. Les législateurs, innovants devant l’Eternel, sont les premiers contestataires. Bien qu’ils fassent partie intégrante du système, que leur responsabilité est d’une évidence éclatante, ils ne trouvent aucune objection à organiser des mouvements de protestation. On a vu les élus du bloc démocratique tenir un sit-in pendant plus d’un mois pour obtenir une simple dénonciation de la violence. Abir Moussi a fait pareil en utilisant des haut-parleurs en pleine séance plénière. Chacun d’eux est revenu vers les méthodes et les outils qu’il utilisait avant la révolution.
Nous parlons ici de législateurs qui se trouvent à l’ARP, l’institution censée être au centre du système politique tunisien. Ce sont d\’ailleurs les premiers à rappeler, toutes gorges déployées, qu’ils sont les vrais détenteurs de la légitimité populaire. Mais quand il s’agit de trouver des solutions, de travailler et de faire avancer les choses, ils ne sont plus détenteurs de quoi que ce soit. A ce moment-là, ce sera, au choix, la faute du gouvernement, la faute de la coalition qui le soutient, ou même la faute de tout le système politique.
Mais la vraie question qui se pose est celle de savoir ce que nous, citoyens, devont faire devant des responsables qui se transforment en contestataires ou en manifestants. Nous avons élu ce personnel politique, composé de députés de la nation et d’un président de la République pour trouver des solutions à un ensemble de problèmes complexes. Nous n’avons pas besoin de responsables qui viennent grossir les rangs des manifestants.
Il est évident que le fait de se ranger du côté du « peuple » a des avantages et porte une symbolique particulière. La volonté d’investir dans de pareils agissements est grande. L’image du responsable, du président qui se mêle à la foule dans une sorte de communion est très belle. Néanmoins, les images ne résolvent rien. Ce n’est pas cela qui va faire sortir les jeunes emprisonnés pour avoir fumé un simple joint, ce n’est pas cela qui va améliorer le pouvoir d’achat du Tunisien, ce n’est pas cela qui nous protégera des contrecoups économiques et sociaux de la crise Covid. La symbolique, l’image et la communication sont des choses importantes. Mais nous en avons marre des responsables qui contestent, au lieu de simplement travailler.










